Exploration immunologique de l'oeil
France | 11 mai 2023
Par Anne-Claire N.
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Exploration immunologique de l’œil
Immunological exploration of the eye
Rémi Pescarmona, Anne-Perrine Foray, Lorna Garnier⁎ Service d’immunologie biologique, hôpital Edouard-Herriot, hôpital Lyon Sud, Hospices civils de Lyon, 5 place d’Arsonval, 69437 Lyon cedex, France
*Autrice correspondante
Résumé
Le système immunitaire de l’œil présente des caractéristiques particulières et spécifiques. En effet, cet organe bénéficie d’un statut particulier dit de privilège immun qui permet, via différents mécanismes, de limiter la réponse inflammatoire immunitaire afin de protéger la vision. Les atteintes pathologiques oculaires sont de ce fait souvent localisées. De plus, les manifestations cliniques de ces pathologies sont parfois peu spécifiques, ce qui rend leur diagnostic difficile. L’exploration biologique du système immunitaire de l’œil est donc une aide précieuse dans le diagnostic et le suivi de certaines de ces pathologies. Sera notamment présenté ici l’intérêt du dosage dans les prélèvements oculaires de l’interleukine (IL)-10 et celui du ratio IL-10/IL-6 pour le diagnostic et le suivi du lymphome oculaire, des cytokines pro-inflammatoires pour les uvéites et des IgE totales pour les conjonctivites allergiques.
Abstract
The immune system of the eye has special and specific characteristics. Indeed, this organ benefits from a special status called immune privilege which allows, via different mechanisms, to limit the immune inflammatory response in order to protect vision. Ocular pathologies are therefore often localized. In addition, the clinical manifestations of these pathologies could be non-specific, which makes their diagnosis difficult. The biological exploration of the immune system of the eye is therefore a valuable help in the diagnosis and monitoring of some of these pathologies: this article presents in particular the interest of interleukin (IL)-l0 assay and the IL-I0/IL-6 ratio in ocular samples for the diagnosis and monitoring of intraocular lymphoma, of pro-inflammatory cytokines for uveitis and of total IgE for allergic conjunctivitis.
Mots clés : humeur aqueuse, humeur vitrée, IgE totale, larme, privilège immun
Keywords : aqueous humor, immune privilege, tear, total IgE, vitreous humor
Introduction
D’un point de vue immunologique, l’œil est un organe particulier dans la mesure où il bénéficie du statut de privilège immun. Malgré cela, des processus autoimmuns, allergiques ou malins peuvent se développer localement et être à l’origine de pathologies comme les uvéites, conjonctivites, lymphomes, etc. La recherche de biomarqueurs au niveau local, notamment le dosage de cytokines dans l’humeur aqueuse et l’humeur vitrée, ainsi que le dosage des IgE totales dans les larmes, a permis d’améliorer le diagnostic et donc la prise en charge des patients atteints de ces pathologies.
Système immunologique et privilège immun de l’œil
L’œil est l’un des rares organes de l’organisme qui bénéficie du statut de privilège immun. Le terme de privilège immun a été introduit par Peter Medawar en 1948 après avoir observé que des greffes de tissu étranger dans l’œil de lapins n’entraînaient pas de rejet du greffon [1]. Les autres organes bénéficiant de ce statut sont le cerveau, le placenta et les testicules. Dans ces organes considérés comme vitaux, la réponse immunitaire dirigée contre les antigènes extérieurs est restreinte afin de limiter les dommages liés à la réaction inflammatoire et conserver la fonction première de ces organes, notamment la vision pour l’œil. C’est pour cette raison que les allogreffes de cornée, organe à l’interface entre l’environnement extérieur et intérieur de l’œil, présentent une très bonne efficacité et un taux de rejet très faible comparé aux autres allogreffes.
Ce privilège immun s’explique à la fois par la présence ou l’absence d’éléments physiques dans la structure de l’œil, qui limitent la pénétration des antigènes étrangers à l’intérieur de l’œil, mais aussi par des mécanismes immunologiques intraoculaires qui maintiennent ce privilège.
Structures physiques
Le film lacrymal
En contact avec le milieu extérieur, le film lacrymal est composé de mucus sécrété par les glandes lacrymales et agit en synergie avec le clignement des yeux pour capturer et éliminer les germes, corps étrangers, etc., avant qu’ils ne pénètrent dans l’œil. D’un point de vue immunologique, ce film lacrymal contient des anticorps dont une majorité d’IgA (77 % des immunoglobulines sécrétées par les glandes lacrymales, dont 80 % d’IgAI) [2] et un tissu lymphoïde majoritairement composé de lymphocytes TCD8+ [3].
Barrière hémato-oculaire
L’intérieur de l’œil est séparé du système immunitaire par une barrière hémato-oculaire se situant au niveau des capillaires qui irriguent l’iris, la rétine et les corps ciliaires. Cette barrière hémato-oculaire est composée de deux parties : la première, externe, est constituée, selon sa localisation, des cellules de l’épithélium pigmentaire rétinien (EPR), des cellules épithéliales de l’iris ou des corps ciliaires et la seconde, interne, est faite des cellules endothéliales de la paroi des vaisseaux. La jonction serrée des cellules de cette barrière physique limite la diffusion de molécules du sang vers la chambre antérieure de l’œil.
Absence de drainage lymphatique
L’intérieur de l’œil ne présente pas de drainage lymphatique direct [4]. Les cellules présentatrices d’antigènes (CPA) de la chambre antérieure ne migrent donc pas vers le ganglion lymphatique régional, ce qui limite l’initiation de la réaction inflammatoire.
Mécanismes immunologiques intraoculaires
Mécanismes inhibiteurs
L’inhibition du système immunitaire se manifeste par l’atténuation ou la prévention des réponses immunitaires et inflammatoires dans l’œil. La barrière hématorétinienne intacte est imperméable aux protéines, y compris les anticorps et les composants du complément, mais reste perméable aux lymphocytes activés [5]. Cependant, le milieu intérieur de l’œil n’est pas propice au soutien de l’activation et de la fonction des lymphocytes.
Premièrement, hors réaction inflammatoire, les CPA de la chambre postérieure de l’œil n’expriment que très faiblement les molécules du complexe majeur d’histocompatibilité (CMH) de classe II, ainsi que les molécules de costimulation CD40, CD80 et CD86 [6] ;
Deuxièmement, les cellules résidentes de l’œil (cellules gliales de Muller de la rétine, les cellules de l’EPR, les cellules endothéliales de la cornée et les cellules épithéliales de l’iris et du corps ciliaire) expriment à leur surface des molécules inhibitrices des lymphocytes : Transforming growth factor β (TGF-3) membranaire, ligand Fas, Programmed death-ligand 1 (PD-L1), B7, la galectine-1, la thrombospondine, etc. [7]. Notamment, l’interaction de ligand Fas à la surface des cellules résidentes de l’œil avec le récepteur Fas à la surface des lymphocytes induit l’apoptose des lymphocytes T qui pénètrent dans l’œil ;
Troisièmement, les cellules résidentes de l’œil sécrètent des substances inhibitrices du système immunitaire comme des cytokines -TGF-β, Macrophage migration inhibitory factor (MIF)- ou des neuropeptides (a-MSH, le peptide apparenté au gène de la calcitonine, le peptide intestinal vasoactif et la somatostatine) [7]. Ces facteurs solubles inhibent l’activation et la fonction du système immunitaire inné – cellules Natural killer (NK), macrophages, polynucléaires- et adaptatif – lymphocytes. Enfin, les facteurs d’inhibition du système du complément – Membrane cofactor protein (MCP), Decay accelerating factor (DAF), CD59 – sont exprimés de manière constitutive et sont fonctionnellement actifs dans les liquides oculaires [8], contribuant au maintien d’un environnement immunosuppressif.
Mécanismes régulateurs
Ce dernier point concerne un phénomène connu sous le nom de déviation immunitaire associée à la chambre antérieure (ACAID). L’ACAID est le premier modèle décrit et le mieux étudié de tolérance oculaire qui peut être considéré comme la composante active et systémique du privilège immun [9]. Ce mécanisme est bien décrit chez la souris mais son existence est plus difficile à explorer chez l’humain et reste donc à démontrer. Dans le modèle murin décrit, un antigène étranger injecté dans la chambre antérieure de l’œil suscite une réponse immunitaire déviante caractérisée par une réponse de type hypersensibilité retardée atténuée, la production d’anticorps ne se liant pas au complément et la production de lymphocytes T régulateurs (Tregs) spécifiques de l’antigène [10]. Plus précisément, l’antigène étranger est pris en charge par des macrophages F4/80+ résidents de la chambre antérieure de l’œil qui migrent vers la zone marginale de la rate par voie vasculaire. Dans la rate, ces macrophages recrutent des lymphocytes NKT, CD4+ et CD8+. La formation de ce cluster cellulaire résulte de l’activation et de l’expansion de lymphocytes T régulateurs CD4+ et CD8+ spécifiques de l’antigène qui inhibent la réaction d’hypersensibilité retardée [11]. La présence de ces cellules dans la chambre antérieure de l’œil, notamment via la sécrétion d’IL-10, participerait activement au maintien de l’environnement immunosuppressif intraoculaire. Le segment postérieur de l’œil semble également bénéficier d’un mécanisme de déviation immunitaire associée à la cavité vitréenne (VCAID) [12], mais ce phénomène est moins étudié que l’ACAID.
Les deux types d’exploration les plus abouties sont les dosages des cytokines et des immunoglobulines E (IgE)
Cependant, ce mécanisme de privilège immun peut être compromis, que ce soit par des prédispositions génétiques et/ou par des stimuli environnementaux tels que les motifs moléculaires associés aux dommages ou aux pathogènes – Damage-associated molecular patterns (DAMPS)/Pathogen-associated molecular patterns (PAMPS) – les infections ou une réponse immunitaire chronique, et donner lieu à des désordres immunologiques comme les uvéites, les conjonctivites allergiques ou les lymphomes oculaires. Sont présentés ici les différents outils biologiques disponibles pour l’exploration de ces pathologies.
Exploration biologique immunologique de l’œil
De par son privilège immun, l’exploration biologique immunologique des pathologies oculaires doit se faire sur des prélèvements réalisés in situ. À savoir l’humeur aqueuse (située dans l’espace entre le cristallin et la cornée) et l’humeur vitrée (masse gélatineuse située entre le cristallin et la rétine). Il est également envisageable de réaliser certaines explorations dans les larmes. Nous traiterons ici des deux types d’exploration les plus abouties, à savoir le dosage des cytokines et des immunoglobulines E (IgE).
Dosage de cytokines
Le dosage de cytokines dans les prélèvements oculaires est une approche intéressante pour explorer la réponse immunologique de l’œil et permettre une orientation diagnostique.
Les dosages de l’interleukine (IL)-10 et de l’IL-6 dans les prélèvements oculaires ont démontré leur intérêt en cas de suspicion de lymphome vitréorétinien primitif dont le diagnostic est difficile. Ces dosages pourraient également avoir un intérêt dans l’exploration des uvéites.
L’IL-10 dans l’exploration des lymphomes intraoculaires
Le lymphome vitréo-rétinien primitif (LVRP) est une variante rare du lymphome primitif du système nerveux central (LPSNC), qui affecte la rétine et/ou le vitré. Le diagnostic de LVRP est difficile en raison de sa rareté, d’une symptomatologie non spécifique mimant celle d’une uvéite chronique, et des performances de l’analyse cytologique qui reste le « gold standard ». En effet, la cytologie diagnostique a une sensibilité qui peut varier considérablement de 45 % à 81 % selon la cellularité de l’échantillon et l’expertise du laboratoire [13] expliquant le développement de l’utilisation de tests complémentaires tels que la cytométrie en flux, l’immunocytochimie, le réarrangement des gènes de restriction des chaînes légères et IgH et/ou récepteur des lymphocytes T (TCR) et le dosage de cytokines, notamment la concentration d’IL-10 et le rapport IL-10/IL-6. Dans la majorité des cas, les LVRP sont d’origine lymphocytaire B [13], et un faible pourcentage de LVRP (5 %) sont d’origine lympho-cytaire T ou NK. Les lymphocytes B malins sécrètent des niveaux élevés d’IL-10, qui agit comme un facteur de croissance pour les cellules tumorales, et une élévation des concentrations d’IL-10 est décrite dans les prélèvements oculaires (humeurs aqueuses et vitrées) de patients atteints de LVRP [13]. L’IL-10, qui présente des propriétés anti-inflammatoires et immunosuppressives, est également produite lors de réactions inflammatoires [14]. C’est pourquoi il est intéressant d’évaluer la concentration d’IL-6, dont l’élévation est prédominante dans les contextes inflammatoires, conjointement à celle de l’IL-10. Un ratio IL-10/IL-6 supérieur à 1 est donc en faveur d’un lymphome à cellules B et est observé dans 88 % à 91,7 % des cas [15]. Les recommandations consensuelles pour le diagnostic de lymphome vitréo-rétinien de 2021 recommandent d’utiliser le ratio IL-10/IL-6 comme aide au diagnostic de LVRP lorsque ces dosages sont accessibles [15].
Afin d’optimiser les performances analytiques de ces tests, plusieurs outils ont été développés : un algorithme diagnostique a été proposé en 2018 par Pochat Cotilloux et al. proposant une ponction d’humeur aqueuse en première intention pour réalisation de la cytologie et dosage de cytokines pouvant conduire, en fonction des résultats, à une vitrectomie diagnostique (Figure 1) [16]. De la même façon, un score ISOLD et plus récemment un modèle de régression logistique ont été déterminés [17, 18-19]. Ces différents outils présentent de bonnes performances analytiques avec une sensibilité variant de 93 % à 96 % et une spécificité variant de 94 % à 100 %.
Une des limites de cette approche est la survenue concomitante au lymphome d’un phénomène inflammatoire. Dans ce cas, le ratio IL-10/IL-6 n’est pas forcément supérieur à 1. Par ailleurs, le ratio IL-10/IL-6 peut être également atypique dans les LVRP d’origine lymphocytaire T (absence d’élévation de l’IL-10) ou d’une atteinte de l’épithélium pigmentaire sous-rétinien ou rétinienne étendue et sévère [15]. Enfin, une élévation de l’IL-10 peut également être observée dans certaines pathologies infectieuses telles que la toxoplasmose oculaire [17].
Ces dosages sont à réaliser en première intention dans l’humeur aqueuse, afin de limiter des actes nécessitant des prélèvement plus invasifs ou coûteux. L’analyse de l’humeur vitrée, pure ou diluée, peut être effectuée en cas de vitrectomie diagnostique. Il est à noter qu’en l’absence de standard international, les valeurs seuils définies dépendent de la technique utilisée et peuvent varier de l’une à l’autre.
Enfin, le dosage de l’IL-10 dans l’humeur aqueuse peut également être utilisé comme marqueur de suivi pour évaluer l’efficacité thérapeutique et lors de suspicion de rechute [20].
IL-6 et uvéites
L’IL-6 est une cytokine pro-inflammatoire, et une élévation de cette cytokine est donc généralement observée de manière non spécifique dans l’humeur aqueuse et vitrée et également dans les larmes de patients atteints d’uvéites. Cela suggère que l’IL-6 pourrait être une cible thérapeutique lors d’uvéites non infectieuses, notamment pour les uvéites auto-immunes [21].
Le suivi de l’IL-6 pourrait également être un marqueur d’activité de certaines maladies. Un intérêt potentiel de son suivi dans les larmes a été rapporté dans les uvéites liées à l’antigène HLA-B27 [22]. Néanmoins, des études complémentaires sont nécessaires pour valider l’intérêt de ce dosage dans la prise en charge d’uvéites de différentes étiologies [23].
Dosage des cytokines dans les prélèvements oculaires
Comme pour les dosages de cytokines réalisés dans le sérum ou le plasma, il est important de veiller à ce que les prélèvements intraoculaires sur lesquels des dosages de cytokines doivent être réalisés soient congelés le plus rapidement possible après le prélèvement (moins de quatre heures). Avant congélation, les ponctions d’humeur aqueuse ou humeur vitrée sont idéalement à préserver dans la glace.
Actuellement, différentes techniques de dosage sont disponibles sur le marché. Les tests ELISA (Enzyme linked immunosorbent assay), communément utilisés pour le dosage des cytokines, ne sont pas optimaux car ils nécessitent un volume important de prélèvement et peuvent manquer de sensibilité.
Une approche de type multiplex permettant de doser simultanément l’IL-6 et l’IL-10 avec un volume de prélèvement réduit (inférieur à 100 μL) est préférable. Parmi les techniques les plus couramment utilisées, on retrouve la cytométrie en flux – Cell bead array (CBA) –, la technologie Luminex (dérivée du CBA), la technologie MSD (électrochimiluminescence) et la technologie Simpleplex®, cette dernière étant automatisée. Du fait de l’absence de standards internationaux notamment, les résultats diffèrent d’une technique à l’autre, comme l’illustre la Figure 2 présentant des résultats d’évaluation externe de la qualité. De ce fait, les seuils décisionnels en particulier pour l’IL-10 ne peuvent être définis que pour une technique donnée et ne peuvent pas être appliqués à des résultats obtenus avec une autre technique. Le suivi doit également être réalisé en utilisant la même technique de dosage.
Par ailleurs, il est important de noter que les prélèvements oculaires présentent des caractéristiques diffé-rentes de celles du plasma ou du sérum et qu’il est donc important de valider cette matrice pour la technique utilisée.
Actuellement, le dosage des cytokines ne figure pas à la nomenclature des actes de biologie médicale. C’est un acte de type RIHN (référentiel des actes innovants hors nomenclature de biologie et d’anatomopathologie) dont la cotation est BHN 140 (code K054).
Perspectives
À terme, les dosages de cytokines pourraient être élargis à d’autres pathologies oculaires comme aide au diagnostic, pour le suivi ou pour aider à la prise en charge thérapeutique.
Dosage des IgE dans les larmes et conjonctivite allergique
Le diagnostic de conjonctivite ou de kératoconjonctivite allergique s’appuie sur un bilan allergologique incluant un interrogatoire clinique, la réalisation de tests cutanés +/- le dosage d’IgE spécifiques sériques [24].
Cette approche est suffisante dans les cas typiques de conjonctivites saisonnières aiguës qui représentent les formes les plus fréquentes.
En revanche, dans certaines situations, des examens biologiques complémentaires, en particulier la recherche d’une sécrétion locale d’IgE au niveau de la surface oculaire, peuvent être utiles pour confirmer l’étiologie allergique, notamment parce que les tests cutanés et les IgE spécifiques sériques sont parfois négatifs.
Les concentrations usuelles d’IgE dans les larmes sont très basses, inférieures à 2,5 kUI/L [24]. Les dosages exigent des techniques avec une étendue de mesure adaptée, les concentrations étant plus faibles que celles observées dans le sérum. De plus, la technique doit être réalisable à partir de faibles volumes de prélèvement.
Le diagnostic de conjonctivite ou de kératoconjonctivite allergique s’appuie sur un bilan allergologique
Les IgE dosées dans les larmes peuvent provenir d’une sécrétion locale depuis les cellules de la surface cornéo-conjonctivale et/ou d’une filtration à travers la barrière hématolacrymale. La part filtrée peut être importante en cas de réaction inflammatoire. Pour estimer les parts filtrées et sécrétées, le dosage des IgE doit être accompagné de celui d’un marqueur endogène de la filtration à travers la barrière hématolacrymale, tel que l’albumine qui n’est pas synthétisée par les glandes lacrymales et reflète donc le passage des protéines d’origine sérique dans les larmes.
Le dosage de l’albumine doit être effectué dans le sérum et dans les larmes par une technique sensible et adaptée à de petits volumes, telle que l’immuno- néphélémétrie [25]. Ces résultats permettent l’établissement d’un ratio IgE sécrétées/IgE exsudées, permettant d’évaluer la production locale d’IgE mais également l’atteinte inflammatoire oculaire [26].
La mise en évidence d’une production locale d’IgE est un élément en faveur d’une conjonctivite allergique [24]. Dans les conjonctivites saisonnières allergiques, il a également été montré que la concentration en IgE dans les larmes était corrélée à la concentration de pollen et à la sévérité des symptômes [27]. De plus, des concentrations d’IgE totales plus élevées étaient observées dans les formes récidivantes. Les IgE totales lacrymales sont également fréquemment élevées dans les kératoconjonctivites atopiques [25].
Conclusion
Le privilège immun de l’œil est une caractéristique immunologique qui permet à l’œil de conserver sa fonction principale en limitant les dommages liés à l’inflammation. Malgré ce mécanisme de protection, des pathologies autoimmunes, allergiques ou malignes peuvent survenir au niveau oculaire. Le développement de techniques de plus en plus sensibles et performantes ces dernières années permettent dorénavant de doser des biomarqueurs à partir de quelques microlitres de prélèvements oculaires (humeur aqueuse, humeur vitrée, larmes) pour explorer ces pathologies. À ce jour, le dosage des cytokines IL-6 et IL-10 dans l’humeur aqueuse et l’humeur vitrée pour le diagnostic et le suivi des lymphomes oculaires et des uvéites, ainsi que le dosage des IgE totales couplé au dosage de l’albumine dans les larmes pour le diagnostic des conjonctivites allergiques, représentent l’essentiel des explorations immunologiques dans les prélèvements oculaires. Cependant, une meilleure compréhension de la physiopathologie d’autres affections oculaires pourrait conduire à un élargissement des indications de ces dosages ainsi qu’au développement de nouveaux biomarqueurs.
Déclaration de liens d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
Points à retenir
Le dosage des cytokines IL-6 et IL-10 dans l’humeur aqueuse et l’humeur vitrée est réalisé pour le diagnostic différentiel des lymphomes oculaires et des uvéites.
Une concentration élevée d’IL-10 et un ratio IL-10/ IL-6 supérieur à 1 dans l’humeur aqueuse ou l’humeur vitrée sont en faveur d’un lymphome oculaire, alors qu’une concentration élevée d’IL-6 avec une élévation modérée ou nulle de l’IL-10 est plutôt en faveur d’une uvéite.
Le dosage des IgE totales peut être réalisé dans les larmes en cas de conjonctivite allergique atypique et doit être associé au dosage de l’albumine.
Références
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Liste des abréviations
ACAID : Déviation immunitaire associée à la chambre antérieure α- MSH α-Melanocyte-Stimulating Hormone CBA Cell bead array CD : Cluster de différenciation CMH : Complexe majeur d’histocompatibilité CPA Cellule présentatrice d’antigènes DAF Decay accelerating factor DAMP Damage-associated molecular patterns ELISA Enzyme-linked immunosorbent assay EPR Épithélium pigmentaire rétinien HLA Human leukocyte antigen IgA : Immunoglobuline A IgE : Immunoglobuline E IL : Interleukine LPSNC : Lymphome primitif du système nerveux central LVRP : Lymphome vitréo-rétinien primitif MCP : Membrane cofactor protein MIF : Macrophage migration inhibitory factor NK : Natural killer PAMP : Pathogen-associated molecular patterns PD-L1 : Programmed death-ligand 1 RIHN : Référentiel des actes innovants hors nomenclature TCR : T Cell receptor TGF-β : Transforming growth factor β Treg : Lymphocyte T régulateur VCAID : Déviation immunitaire associée à la cavité vitréenne
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RFL - Revue francophone des laboratoires S’ouvre dans une nouvelle fenêtre Volume 2023, numéro 552
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