Stratégies managériales et accompagnement dans les structures de soins
24 novembre 2025

Découvrez un extrait de l'ouvrage Stratégies managériales et accompagnement dans les structures de soins.
L'objectif de ce livre est de démontrer la complexité du fonctionnement humain, tant sur le plan neurologique que comportemental, et d'expliquer de manière simple et accessible les processus à prendre en considération dans le management moderne. Les émotions, les processus cognitifs et les comportements organisationnels interagissent de manière complexe et forment un système interconnecté qu'il est crucial de comprendre pour optimiser la performance en entreprise.
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Table des matières
Introduction
Regard historique sur le monde du travail : du mythe de la rationalité à l'intelligence émotionnelle
Apport des neurosciences
Raisonner, arbitrer, décider
Y a-t-il un pilote à bord ?
Piloter les équipes au quotidien
Conclusion
Découvrez les premières pages du chapitre 5 : Piloter les équipes au quotidien.
Plan du chapitre 5
Les émotions au bureau
Instaurer une sécurité psychologique
Stimuler la motivation grâce aux émotions
Forger une culture forte
Piloter les équipes au quotidien
Comme vu supra : être manager aujourd'hui ne se résume plus à fixer des objectifs et à contrôler les résultats. C'est aussi – et peut-être surtout – savoir naviguer dans un espace relationnel dense, parfois incertain, souvent chargé émotionnellement. Dans cet espace, les émotions dites inconfortables ou négatives (colère, peur, tristesse, frustration, anxiété, sentiment d'injustice) ne sont pas des erreurs de parcours : elles font partie du paysage quotidien du travail. Ces émotions sont des signaux. Signaux d'un besoin non satisfait, d'un désalignement, d'une tension à écouter. Pour le manager, refuser de voir ces signaux, c'est risquer de se couper de ce qui fait l'essence même de la relation humaine au travail. À l'inverse, se laisser submerger par les émotions des autres, c'est tomber dans une posture de sauveur, voire devenir soi-même une source de déséquilibre émotionnel pour l'équipe.
Ce chapitre est une invitation à franchir un cap : celui de la compréhension des frontières émotionnelles. Être à l'aise avec les émotions difficiles ne signifie ni les fuir, ni les absorber. Cela implique d'élaborer une posture juste – à la fois empathique et contenante – qui permet de répondre aux besoins fondamentaux des collaborateurs sans les surprotéger, sans nier leurs vécus, sans se nier soi-même. Il ne s'agit pas d'être un refuge permanent ni un mur impassible, mais un repère stable et humain.
À travers une exploration lucide des pièges tels que la positivité toxique, l'invalidation émotionnelle ou encore la surcompensation affective, ce chapitre montre comment mieux comprendre, accueillir, nommer et canaliser ces dynamiques émotionnelles. L'enjeu est de taille : construire une posture de manager équilibrée, qui favorise la confiance, l'autonomie et la santé psychologique des équipes – sans sacrifier la sienne.
Les émotions au bureau
Les émotions, loin de n'être que des sensations éphémères, jouent un rôle fondamental dans les choix quotidiens, influençant les décisions. Le chapitre 4 a passé en revue des études fascinantes qui révèlent comment des émotions variées telles que la colère, la peur, le dégoût ou encore l'anticipation impactent les comportements, y compris dans la vie professionnelle. Il a exploré comment ces sentiments guident les choix, influençant à la fois la manière dont des solutions familières sont privilégiées en période d'incertitude, et la satisfaction vis-à-vis des décisions. Une plongée dans ces mécanismes émotionnels éclaire d'un jour nouveau le lien entre émotions, décisions et relations interpersonnelles.
Mais une question reste en suspens : que faire, concrètement, de ces émotions – surtout lorsqu'elles sont inconfortables ? C'est ici que s'ouvrent les zones grises émotionnelles, ces situations ambiguës où les repères managériaux vacillent. Ce chapitre montre comment accueillir les émotions négatives sans s'y perdre, quels pièges éviter (minimisation, positivité toxique, fusion émotionnelle), et quelle posture adopter pour rester un repère solide, humain et lucide.
Gérer des frustrations et des déceptions
L'attente d'une grande nouvelle, celle qui pourrait transformer le cours d'une vie, est une expérience partagée par tous. Qu'il s'agisse d'un entretien d'embauche crucial, d'un résultat d'examen, d'une proposition de contrat, ou même d'une élection décisive, ces moments de suspension sont souvent chargés d'incertitude. La question essentielle qui se pose alors est : comment se préparer à une déception qui pourrait tout faire basculer ou du moins modifier les règles du jeu ? Est-il préférable de réfléchir à cette possibilité en amont, ou cela ne sert-il qu'à gaspiller une énergie précieuse et à s'angoisser inutilement ?
La première chose à faire est de se demander si l'inquiétude a une réelle utilité. Il est indéniable que l'anxiété, lorsqu'elle pousse à agir, peut être un puissant moteur. Si elle amène à rassembler des ressources, à anticiper les obstacles et à mieux se préparer, elle devient un outil précieux pour renforcer la résilience. Par exemple, si l'on craint une réorganisation qui pourrait coûter son emploi, ce stress peut pousser à revoir ses finances ou à prendre contact avec des collègues pour explorer d'autres opportunités. Dans ce cas, l'inquiétude sert une fonction : elle incite à l'action. Cependant, lorsque le sort de la situation ne dépend plus de soi, cette inquiétude n'a plus la même valeur. Si l'entretien est terminé, que l'on a déjà voté ou plaidé sa cause, continuer à se tourmenter ne fait qu'ajouter de l'agitation inutile. En thermodynamique, une énergie non canalisée finit en entropie – un désordre inefficace. Les pensées, elles aussi, peuvent se transformer en agitation inutile si elles ne mènent à aucune action. Ruminer ce que l'on ne peut plus changer, c'est comme faire tourner un moteur à vide : toute l'énergie se transforme en chaleur et se perd, sans avancer d'un centimètre. À ce stade, la question à se poser est : est-ce que l'anxiété peut encore changer quelque chose au résultat ?
Une autre façon d'anticiper une potentielle déception est d'imaginer l'issue négative et de s'y préparer en conséquence. Cette méthode, appelée pessimisme défensif, consiste à réfléchir aux ressources qui peuvent s'avérer nécessaires si le pire se produit [1, 2]. Cela peut aider à calmer l'angoisse du moment en permettant de visualiser comment une éventuelle défaite peut être surmontée. Si l'on attend des nouvelles d'un poste, par exemple, on peut se dire : « Si je ne l'obtiens pas, il y aura d'autres opportunités, et j'ai les compétences pour rebondir. » Cette réflexion peut atténuer le choc d'une mauvaise nouvelle et renforcer la préparation mentale.
Mais attention à ne pas en abuser. Bien que le pessimisme défensif puisse se révéler extrêmement efficace pour certains individus anxieux, ses implications sur l'humeur et les interactions sociales méritent d'être examinées avec attention [1, 2]. Cette stratégie repose sur une anticipation mentale soutenue de scénarios négatifs, dans le but de mieux s'y préparer. En apparence, elle fonctionne : ceux qui l'adoptent réussissent souvent à maintenir un haut niveau de performance, précisément parce qu'ils s'obligent à envisager les difficultés avant qu'elles ne surgissent. Mais ce mécanisme de préparation mentale a un coût émotionnel non négligeable.
En se projetant constamment dans des issues défavorables, ces individus sollicitent sans relâche leur système d'alerte interne. Ils vivent dans une forme de tension psychique prolongée, qui, à force, finit par influencer leur humeur. Même en cas de succès, le soulagement ressenti est souvent de courte durée, remplacé rapidement par de nouvelles inquiétudes anticipatoires. Ce cycle d'hypervigilance, bien qu'adaptatif sur le plan cognitif, alimente une forme de morosité chronique. Ce n'est pas l'échec qui pèse, mais la charge mentale d'avoir toujours envisagé le pire.
Dans les relations sociales, le pessimisme défensif peut également générer des incompréhensions. Ceux qui l'utilisent peuvent être perçus comme anxieux, négatifs, voire démobilisateurs par des collègues ou des proches au tempérament plus optimiste. Il peut en résulter un sentiment d'isolement ou une difficulté à se sentir pleinement soutenu. Le décalage entre l'état d'esprit du pessimiste défensif et celui de son entourage peut fragiliser la dynamique relationnelle, en particulier dans les contextes où l'enthousiasme collectif est valorisé comme moteur d'engagement.
Ainsi, si le pessimisme défensif est une ressource précieuse pour affronter les défis, il ne va pas sans risques. L'enjeu n'est pas de l'écarter, mais de le reconnaître pour ce qu'il est : une stratégie parmi d'autres, à manier avec discernement. Elle gagne à être complétée par des pratiques de régulation émotionnelle et par un environnement relationnel capable d'accueillir la diversité des fonctionnements mentaux. Car à trop anticiper les orages, on en oublie parfois la clarté du ciel présent. Et cela aussi, à long terme, pèse sur l'équilibre intérieur.
Pour faire face à une issue défavorable, plusieurs approches validées par la recherche peuvent s'avérer utiles. Les techniques d'affirmation de soi, qui consistent à se rappeler ses valeurs fondamentales et les manières dont on les met en pratique, peuvent accroître la résilience. La pleine conscience, par des exercices simples comme le contrôle de la respiration, permet aussi de réduire les émotions négatives et de lâcher prise sur les pertes potentielles. Ces pratiques aident à prendre du recul et à mieux aborder les défis émotionnels.
Cependant, l'équilibre est crucial : il ne s'agit pas de se concentrer uniquement sur le pire. L'espoir a un rôle à jouer, et il ne faut pas hésiter à imaginer des scénarios positifs. Penser à ce que l'on fera si tout se passe bien peut même aider à mieux traverser cette période d'incertitude. Imaginer ce que l'on ressentira en décrochant ce nouveau poste ou si son projet est accepté représente des visualisations qui ne sont pas des vœux pieux, mais un moyen de maintenir sa motivation et son bien-être. « Espérer le meilleur, se préparer au pire » est une approche équilibrée qui permet d'anticiper les déceptions sans sombrer dans l'excès de confiance.
Modérer sa confiance est essentiel. Si l'on n'admet pas du tout l'éventualité d'un échec, cela peut rendre une chute plus brutale. L'exemple des partisans d'Hillary Clinton lors de l'élection présidentielle de 2016, qui avaient déjà planifié leurs célébrations avant la fin des résultats, illustre bien ce danger. Ils ont été surpris par la défaite car ils ne s'étaient pas préparés à un scénario alternatif. Cultiver un certain réalisme permet d'amortir le choc d'une issue inattendue.
De même, il est vain de tenter de « payer sa douleur à l'avance » en vivant la déception avant qu'elle ne se produise. Ressentir l'angoisse de manière anticipée ne protège pas du choc éventuel. Au contraire, cela peut rendre la déception plus douloureuse, en alourdissant inutilement le fardeau émotionnel avant et après la nouvelle. D'après des recherches sur la « prévision affective », l'intensité et la durée des émotions négatives sont souvent surestimées, et cela conduit à croire que la tristesse ou la frustration sont ressenties plus profondément et plus longtemps que réellement [3].
Recadrer la douleur anticipée peut aussi s'avérer utile. Si la perspective de l'échec est douloureuse, c'est parce que cela signifie que l'on se soucie profondément de l'enjeu. En un sens, cette douleur potentielle est un signe que d'engagement dans quelque chose de significatif, et il est naturel d'en ressentir le poids. En cas de déception, permettre à cette douleur de se manifester, et accepter qu'elle fasse partie du processus, est généralement la première étape vers la guérison. Comme le souligne Markman, la douleur est souvent proportionnelle à l'investissement émotionnel, mais elle n'en est pas moins surmontable. Ce n'est pas parce que l'on échoue une fois que tous les efforts sont vains ; bien au contraire, chaque échec peut préparer à de futurs succès.
Enfin, lorsque tout semble insurmontable, il est parfois nécessaire de se distraire. C'est l'une des stratégies les plus simples et les plus efficaces pour apaiser l'esprit. Un film léger, une course en plein air ou quelques exercices de respiration peuvent suffire à détourner l'attention de l'angoisse. Ces moments de détente ne résolvent pas l'incertitude, mais offrirent une pause nécessaire pour éviter l'épuisement mental.
En somme, la clé pour naviguer dans l'attente d'une grande nouvelle est de trouver un équilibre entre l'espoir et la préparation au pire. Se préparer à une déception ne signifie pas devoir abandonner tout optimisme, mais bien accepter la complexité de la situation. L'incertitude fait partie de la vie, et apprendre à l'affronter, sans laisser l'anxiété paralyser, est peut-être l'un des plus grands défis auxquels on est confronté. Car, qu'importe le résultat, l'important est de continuer à avancer, avec résilience et détermination.
Quelles stratégies concrètes un manager peut-il mobiliser, à la fois pour gérer ses propres émotions en période d'incertitude, et pour accompagner son équipe dans des moments de tension ou d'attente ?
Transformer l'inquiétude en action utile
En tant que manager, il est essentiel de distinguer l'inquiétude fertile de l'agitation mentale stérile. Lorsque l'incertitude grandit (réorganisation, attente d'un contrat, changements d'équipe, etc.), il faut se poser cette question simple : « Mon inquiétude peut-elle encore influencer le cours des choses ? » Si oui, la transformer en plan d'action concret. Sinon, la reconnaître, puis la canaliser pour préserver son énergie mentale.
Astuce Créer un « rituel de clôture » après une phase d'action (comme un entretien ou une présentation) pour symboliquement poser le dossier et reprendre du recul.
Utiliser le pessimisme défensif avec discernement
Le pessimisme défensif peut être une boussole puissante pour anticiper les difficultés. En tant que leader, il permet de planifier des issues négatives sans être pris au dépourvu. Mais attention : utilisé de manière excessive, il peut miner l'enthousiasme collectif.
Stratégie L'utiliser en solo pour préparer les plans B, mais adopter un ton mesuré avec l'équipe. Ne pas projeter ses scénarios noirs comme des réalités inéluctables. Toujours les accompagner d'un axe de solution.
Cultiver une culture émotionnelle régulée
Dans une période d'attente ou d'incertitude, les émotions montent – parfois sans mots. Le rôle du manager n'est pas de les faire disparaître, mais de leur donner un cadre d'expression qui évite la contagion négative.
Astuce Faire des points émotionnels courts en réunion : « Où en êtes-vous émotionnellement ? », « Qu'est-ce qui vous pèse en ce moment ? » Cela permet d'ouvrir un espace sans tomber dans le débordement.
Travailler avec la pleine conscience et l'ancrage
Dans les périodes d'incertitude, la projection mentale constante épuise. Le manager gagne à revenir régulièrement à l'instant présent. La pleine conscience, la respiration consciente ou simplement le fait de marcher sans écran peuvent jouer un rôle de régulation puissant.
Conseil Intégrer des micropratiques dans sa routine : 3 minutes de respiration avant une réunion stratégique, ou une pause « reset » pour l'équipe après une annonce stressante.
Nourrir aussi des scénarios positifs
L'équilibre émotionnel se construit dans la tension entre lucidité et espérance. Un bon manager ne vend pas du rêve, mais autorise son équipe à se projeter positivement – même en pleine incertitude.
Stratégie Proposer des questions telles que : « Et si tout se passait bien, qu'est-ce que cela permettrait ? » Cela stimule les ressources internes et favorise un climat d'engagement.
Affirmer ses valeurs pour maintenir le cap
L'un des meilleurs régulateurs émotionnels du manager reste le rappel de ses valeurs : « Pourquoi suis-je là ? Qu'est-ce qui fait sens dans cette situation, même inconfortable ? » L'affirmation de soi, par l'ancrage dans ses principes, permet de transformer l'anxiété en alignement.
Astuce Lors d'un moment de doute, se recentrer sur ce que l'on défend : autonomie, respect, équité, transparence, etc. Cela aide à prendre des décisions justes, même sous pression.
Encadrer le discours collectif pour éviter les amplifications émotionnelles
Une équipe en attente peut rapidement glisser vers la rumeur, la panique ou la démobilisation. Le rôle du manager est de mettre des mots clairs sur l'incertitude sans alimenter l'inquiétude.
Stratégie Tenir un discours lucide et responsable : « Nous ne savons pas encore ce qu'il en est, mais voici ce que nous faisons en attendant. Voici ce qui dépend de nous. »
Accepter de montrer une vulnérabilité encadrée
Un manager n'a pas à être invulnérable. Il a à être lisible. Partager sobrement ses propres émotions (« Je suis aussi dans l'attente », « Ce n'est pas confortable ») peut renforcer la confiance, à condition que cela soit suivi d'une posture claire.
Gérer l'incertitude émotionnelle – pour soi comme pour les autres – ne passe ni par l'ignorance des émotions, ni par leur surexposition, mais par la régulation, l'anticipation raisonnée et l'ancrage dans le sens. Un manager qui sait accueillir les émotions sans s'y perdre devient un repère précieux pour ses équipes, et pour lui-même.
Le stress est-il utile ?
Il arrive parfois que l'on ressente une montée soudaine de stress, cette sensation où le cœur s'emballe et les pensées s'agitent dans tous les sens, sans moyen évident de retrouver sa sérénité ? Chacun a connu ces moments, ces instants où, malgré tous ses efforts, l'anxiété submerge. On se dit peut-être qu'il suffit de se calmer, de respirer rofondément et tout ira mieux. Il est indéniable que cela fonctionne rarement.
Et si la clé résidait ailleurs ? Dans une routine, un rituel soigneusement orchestré, semblable à ceux des sportifs de haut niveau qui, eux, sont passés maîtres dans l'art de gérer la pression. Car oui, ces rituels, aussi anodins qu'ils puissent paraître, pourraient bien être un bouclier contre l'agitation mentale.
Il est possible d'imaginer un instant d'être traqué, pris au piège dans une situation où son instinct de survie est en alerte maximale. Essayer de se dire calmement que « Tout va bien » semble alors aussi utile que de murmurer face à un ouragan. C'est précisément dans ces moments, où le corps et l'esprit s'embrasent d'excitation, que les simples paroles ne suffisent plus. La biologie est programmée pour réagir, pour ressentir cette tension, cette énergie débordante qui circule dans les veines. Mais comment alors ne pas se laisser submerger par elle ? Comment retrouver cette lucidité quand tout autour semble vaciller ?
La réponse réside dans les rituels. Par exemple, Serena Williams, la légende du tennis, ou encore Cristiano Ronaldo, l'un des plus grands footballeurs de tous les temps ont chacun développé des rituels qui les accompagnent à chaque match, chaque défi. Pour Serena Williams, c'est le nombre de fois qu'elle fait rebondir la balle avant de servir. Pour Cristiano Ronaldo, c'est ce pied spécifique avec lequel il pénètre sur le terrain. Ces gestes, ces actions répétées avec précision et constance, ne sont pas anodins. Ils sont la clé de leur concentration, la pierre angulaire de leur performance.
Rituels de concentration ou gestes de superstition ?
Les athlètes ne se contentent pas de gestes techniques : ils s'entourent de routines précises, quasi immuables, qui jalonnent leur préparation. Mais que disent ces gestes répétés sur le fonctionnement psychologique ? Sont-ils de simples rituels, des superstitions rassurantes, ou frôlent-ils parfois le trouble obsessionnel compulsif (TOC) ?
La littérature distingue clairement ces trois concepts, bien qu'ils partagent certains traits communs, comme la répétition ou la recherche de contrôle.
Le rituel : une boussole dans l'incertitude
Dans le contexte de la performance, un rituel est une séquence d'actions symboliques, répétée volontairement, souvent dans un cadre structuré. Il n'a pas nécessairement une fonction logique ou utilitaire directe, mais il stabilise l'attention, réduit l'anxiété et crée un sentiment de maîtrise.
Des recherches menées par Hobson et Inzlicht ont montré que les rituels permettent de structurer l'expérience dans des situations de forte incertitude [4]. Ils augmentent la perception de contrôle, même lorsque celui-ci est objectivement limité. Dans une série d'expériences, les auteurs ont montré que les participants ayant pratiqué un rituel avant une tâche stressante (comme parler en public) présentaient moins de stress et de meilleures performances que ceux n'ayant rien fait ou ayant suivi une consigne neutre. Ainsi, le rituel – comme rebondir la balle un nombre précis de fois – devient un ancrage attentionnel. Il ne garantit pas la réussite, mais il prépare l'esprit à être pleinement présent.
La superstition : quand le rituel devient magique
La superstition, quant à elle, est une croyance selon laquelle une action ou un objet porte-bonheur aurait un pouvoir causal direct sur le résultat. On passe alors du symbolique au magique. De nombreux sportifs ont des t-shirts « porte-bonheur », mangent toujours la même chose avant un match, ou portent les mêmes chaussettes – non pas pour se concentrer, mais parce qu'ils croient que cela influence le résultat. Les chercheurs ont montré que des objets perçus comme « porte-bonheur » pouvaient effectivement améliorer la performance… non pas par magie, bien sûr, mais parce qu'ils renforcent la confiance en soi [5]. Ainsi, la superstition agit comme une illusion fonctionnelle : elle active le même levier que le rituel – la perception de contrôle – mais en s'appuyant sur une croyance irrationnelle.
Le TOC : quand la répétition devient contrainte
À l'autre extrémité du spectre, le TOC implique une répétition de gestes ou de pensées imposée par une angoisse incontrôlable, souvent déconnectée du contexte. Là où le rituel est choisi et utile, le TOC est intrusif, rigide, source de souffrance. Le sportif ne maîtrise plus la répétition : il la subit, avec la peur que quelque chose de grave arrive s'il ne l'accomplit pas.
Une revue de Gillan et Robbins a montré que les personnes atteintes de TOC présentent un dysfonctionnement dans les circuits cérébraux liés à l'apprentissage dirigé par un but [6]. Leurs actions sont déconnectées du sens ou du résultat, ce qui les distingue fondamentalement des rituels intentionnels des athlètes.
En résumé
Les rituels sont intentionnels, symboliques, apaisants : ils facilitent la performance.
Les superstitions sont irrationnelles mais parfois bénéfiques grâce à l'autopersuasion.
Les TOC sont des compulsions subies, pathologiques, souvent paralysantes.
Ce qui fait la différence, c'est le rapport que l'on entretient avec la répétition : est-elle choisie ou imposée ? Est-elle porteuse de sens ou source de peur ? Dans le cas de Serena Williams ou Cristiano Ronaldo, ces rituels sont des outils mentaux puissants, incarnant la rigueur, l'attention et la confiance. Mais il est essentiel, pour les managers comme pour les athlètes, de rester vigilants : ce qui rassure peut aussi glisser, s'il est mal régulé, vers ce qui enferme.
Et il n'y a pas que les sportifs. Les danseuses étoiles, avant de fouler la scène, ont elles aussi leurs propres rituels, tout comme les écrivains qui, avant de coucher des mots sur le papier, trouvent refuge dans des rituels sacralisés. Les pianistes, quant à eux, ne dérogent pas à cette règle : un geste, une respiration, un instant pour se recentrer, et les notes peuvent enfin s'envoler. Ces rituels, qu'ils soient physiques ou mentaux, confèrent un sentiment de contrôle et de confiance, en permettant de focaliser son énergie là où elle est réellement nécessaire.
Les recherches confirment d'ailleurs que le stress, lorsqu'il est modéré, peut être un allié précieux. La célèbre loi de Yerkes-Dodson l'explique clairement : les performances augmentent avec l'excitation physiologique, mais seulement jusqu'à un certain point [7]. Passé ce seuil, le stress devient un frein. C'est là que les rituels interviennent, comme un guide invisible, aidant à maintenir cet équilibre fragile entre l'excitation productive et l'angoisse paralysante.
Alors, si l'angoisse saisit une personne, au lieu de tenter vainement de se dire de se calmer, elle doit essayer autre chose. Adopter un rituel. Qu'il s'agisse d'une chanson qui motive, d'un geste qui ancre dans l'instant, ou même d'une posture qui donne force et assurance, trouver ce qui résonne en elle et l'intégrer dans son quotidien. Car avec les bons rituels, non seulement elle peut apprendre à dompter le stress, mais aussi découvrir comment briller sous les feux de la rampe. Et ne jamais oublier : ce ne sont pas les circonstances qui définissent un individu, mais la manière dont il choisit d'y réagir.
Dans un poste à responsabilité, l'intensité émotionnelle fait partie du quotidien. Le manager ou le directeur est souvent perçu comme un pilier, mais lui aussi a besoin d'ancrages émotionnels pour rester centré. C'est là que les rituels deviennent des alliés essentiels.
Créer ses propres rituels de stabilité en situation de pression
Le stress fait partie intégrante du quotidien managérial – prise de parole devant un collectif, décision difficile à assumer, pilotage en contexte incertain. Dans ces moments, un rituel personnel, même simple (respiration, ancrage corporel, phrase clé, musique, marche rituelle, etc.) devient un point de repère émotionnel.
Exemple Avant un comité sensible, un manager peut pratiquer une brève visualisation positive ou répéter un geste (se redresser, respirer trois fois profondément, poser les deux pieds à plat) pour se recentrer.
Pourquoi ça marche ? Parce que les rituels restaurent une forme de contrôle subjectif, même lorsque l'environnement est objectivement incertain.
Encourager les rituels collectifs pour renforcer la cohésion d'équipe
Les rituels ne sont pas que personnels. En tant que manager, il est possible de structurer des rituels collectifs (réunions d'équipe à heure fixe, ouverture symbolique d'un projet, moments de débrief réguliers, petit geste commun avant un événement).
Pourquoi c'est utile ? Parce que cela ancre le groupe, renforce l'appartenance, et cadre émotionnellement des moments à fort enjeu.
Astuce Ne pas chercher à les imposer de manière rigide. Les proposer comme des repères souples, coconstruits avec l'équipe.
Distinguer rituel, superstition et TOC : rester attentif à la fonction psychologique
En tant que leader, il faut être attentif à la fonction du geste répété : aide-t-il à se concentrer ou est-il devenu une compulsion qui rigidifie ? Un rituel est choisi, modifiable, porteur de sens. Une superstition peut être tolérée si elle reste légère. Un TOC doit, au contraire, alerter si la personne souffre de ne pas pouvoir s'en passer.
Dans la pratique Si un collaborateur semble « dépendant » d'un enchaînement très rigide pour fonctionner, et que ce comportement devient source de souffrance ou de conflit, il est judicieux d'en parler avec bienveillance et, si besoin, d'orienter vers un soutien psychologique.
S'appuyer sur la loi de Yerkes-Dodson pour ajuster le niveau de tension
La fameuse loi de Yerkes-Dodson rappelle que le stress n'est pas l'ennemi : un niveau modéré d'activation améliore les performances. Mais au-delà d'un certain seuil, il désorganise la pensée, altère le jugement, fragilise les relations.
Application directe En période de tension (projet en crise, pression hiérarchique), le rôle du manager est de réguler le climat émotionnel, de ne pas en rajouter inutilement, et de proposer des micropauses de récupération (récapitulations, rituels, reformulations, humour, silence utile).
Laisser de la place à l'ancrage sensoriel ou symbolique
Certains rituels passent par le sensoriel ou l'artistique : musique pour se mettre en énergie, phrase inspirante dans le bureau, objet sur le bureau qui rappelle une valeur. Ces petits « ancrages » renforcent l'alignement intérieur.
Conseil Inviter ses collaborateurs à identifier leur déclencheur de recentrage : un geste, un mot, une respiration, un souvenir. Le proposer sans obligation. L'essentiel est qu'ils en perçoivent la fonction de soutien à la performance émotionnelle.
Un manager n'est pas seulement un gestionnaire de tâches : c'est un chef d'orchestre, un régulateur émotionnel, pour lui-même et pour son équipe. Intégrer les rituels – personnels et collectifs – permet de transformer le stress en levier, plutôt qu'en menace. Cela construit une culture de sécurité psychologique, tout en développant la lucidité, la concentration et la confiance partagée.
En résumé
Créer des routines de régulation pour soi-même.
Introduire des repères collectifs symboliques.
Rester attentif aux dérives vers des compulsions.
Apprendre à jouer avec la tension… sans la subir.
Offrir un cadre émotionnel stable sans étouffer l'initiative.
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Stratégies managériales et accompagnement dans les structures de soins Apport des neurosciences à la transformation des pratiques Marie-Victoire Chopin ISBN 9782294779992 2025
