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Se rétablir en santé mentale

6 septembre 2023

Par Anne Claire Nonnotte

Se rétablir en santé mentale

Méthode heuristique : l’empathie relationnelle

– Qu’est-ce que signifie « apprivoiser » ? – C’est une chose trop oubliée, dit le renard. Ça signifie « créer des liens… » […] Apprivoise-moi ! – Que faut-il faire ? dit le petit prince. – Il faut être très patient, répondit le renard. Tu t’assoiras d’abord un peu loin de moi, comme ça, dans l’herbe. Je te regarderai du coin de l’œil et tu ne diras rien. Le langage est source de malentendus.

Antoine de Saint-Exupéry , Le Petit Prince , Paris : Gallimard, 1945.

On peut se retrouver seul avec le médecinet ça permet de faire le point sur l’usager, le patient, tout comme on peut avoir la possibilité de se retrouver à trois : l’usager, le professionnel et le pair-aidant, voire même ajouter un proche dans la relation. Ça permet de gagner énormément de temps. Le pair-aidant, par sa place, peut reformuler ce que les professionnels disent.

Vincent De Wouters, pair-aidant, MOOC Fondements du rétablissement , 2019.

Techno-pédagogie de co-apprentissage du rétablissement

Ce livre est le reflet du MOOC Fondements du rétablissement dont le contenu est également inclus dans un cours universitaire offert par la faculté de médecine de l’université de Montréal , secteur sciences de la santé. Il s’agit du cours PST1000- Rétablissement et santé globale. La figure figure 2.1 montre comment le MOOC, et donc ce livre, s’articulent au cours PST1000 avec au cœur de ce système les vignettes vivantes 1 à 10 à chaque fois produites sur la base d’un entretien dialogal tenu, soit avec (a) une personne en rétablissement et (b) un psychiatre , soit avec une personne en rétablissement, et (c) un chercheur universitaire (voir chapitre 1). Offert chaque année à la session d’automne, le cours PST1000 est un cours en ligne de premier cycle. Ce cours de 45 heures (15 fois trois heures de cours) est l’un des cours obligatoires du microprogramme de mentorat pour pairs-aidants de la faculté de médecine de l’université de Montréal. Il a donc été conçu pour les futurs pairs-aidants ou pairs-aidants-famille qui peuvent ensuite poursuivre un parcours académique sur mesure dans certains créneaux d’ intervention plus spécialisés, en accumulant d’autres crédits, ce qui est recommandé pour ceux et celles qui souhaitent parfaire leurs connaissances. Ces études complémentaires peuvent les préparer à l’intervention auprès des jeunes en difficulté , d’immigrants et de réfugiés , de personnes âgées , ou en contexte d’addiction, par exemple (projection vers la droite de la figure 2.1 ).

Figure 2.1: Imbrication du MOOC, du livre et du cours à la faculté de médecine

Figure 2.1: Imbrication du MOOC, du livre et du cours à la faculté de médecine

Les lectures, vidéos et activités réflexives du MOOC représentent la partie asynchrone du cours PST1000, dont les étudiants doivent s’approprier le contenu avant chacun des séminaires interactifs hebdomadaires. Ces derniers représentent la partie synchrone à laquelle les étudiants doivent tous prendre part en même temps, même si c’est à distance, pour la tenue d’activités de co-apprentissage interactives. Le cours PST1000 est un cours de psychiatrie, d’où les lettres PST de son sigle, et à notre connaissance, c’est le premier cours offert par une faculté de médecine qui porte spécifiquement sur le rétablissement. Il s’agit d’un cours également ouvert aux étudiants libres, c’est-à-dire n’étant pas formellement inscrits dans un programme de formation universitaire, mais qui souhaitent tout de même suivre un ou des cours pour satisfaire une curiosité personnelle et se former. Ce cours est également pertinent pour les étudiants en médecine, en psychologie, ou autres sciences sociales ou de la santé, et qui sont éventuellement appelés à exercer leur future profession dans un système axé sur le rétablissement ou qui sont ouverts à l’idée de côtoyer des personnes en rétablissement comme collègues d’une même cohorte étudiante.

Une autre particularité est que plusieurs usagers pairs-aidants s’y succèdent en tant qu’experts du rétablissement. Formés pour œuvrer en tant que porte-parole de leurs pairs [1] , ces pairs-aidants peuvent aussi être mis à contribution lors d’activités de développement professionnel continu, pour animer des groupes de rétablissement s’inspirant de l’éducation thérapeutique du patient, ou pour sensibiliser le grand public (projection vers la gauche de la figure 2.1 ).

Le tout est alimenté par les travaux du laboratoire de recherche et d’enseignement en mentorat pour pairs-aidants de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal où, notamment, se développe et s’expérimente un référentiel spécifique à la pratique de la pair-aidance 1. Cette transposition d’une formation médicale à la formation des usagers et pairs-aidants se fait sur les bases du Référentiel de compétences CanMEDS [2] . Il s’agit d’un cadre pédagogique créé dans les années 1990 par le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada pour promouvoir le développement des compétences chez les médecins en formation. Ce cadre a été mis à jour en 2005 puis en 2015, et au fi l des ans, il a été adapté pour être utilisé à l’échelle internationale [3] . Dans leur pratique au quotidien, les médecins appliquent les sept rôles CanMEDS suivants (ou groupes thématiques de compétences) : Expert médical (le rôle pivot), Communicateur, Collaborateur, Promoteur de la santé, Gestionnaire/Leader, Érudit et Professionnel. Chaque compétence est constituée d’éléments indépendants et peut être subdivisée en éléments constituants plus petits pour l’enseignement, l’apprentissage , l’observation, l’interaction et l’évaluation [4] . Des documents normatifs ont été développés afin que ce cadre puisse être utilisé par les enseignants de diverses spécialités médicales. Par exemple, le programme de résidence en médecine de famille de l’université de Montréal est structuré par compétences CanMEDS [5] . Ce modèle est également inspiré du cadre conceptuel construit en France par les Drs Jean Jouqua net Philippe Bail de la Faculté de médecine de Brest de l’université de Bretagne Occidentale [6] . Il propose un apprentissage au cours duquel les résidents construisent progressivement leurs compétences à partir des questions qu’ils se posent en situation de résolution de problèmes complexes. Leurs professeurs guident et facilitent les apprentissages en intégrant enseignement et évaluation, et en leur fournissant la rétroaction nécessaire.

Cette stratégie de développement de compétences repose donc essentiellement sur des activités d’approche par problème(APP), l’APP se définissant comme : « Apprentissage axé sur la maîtrise d’une démarche d’analyse et de solution de problèmes, rendant l’étudiant habile à formuler des questions, à produire des hypothèses, à trouver et à analyser les informations nécessaires à la compréhension de problèmes (…). » Initialement mise au point pour Apprendre à devenir médecin [7] , l’APP est donc ici également utilisée pour apprendre à « devenir en rétablissement », pourrait-on dire. En effet, tel que suggéré dans le Guide d’implantation du partenariat de soins et services du Réseau universitaire intégré de santé et de services sociaux (RUIS) de l’université de Montréal [8] , dans une approche de partenariat avec le patient, la prestation de soins et de services de santé optimaux passe de plus en plus par le développement et le maintien de telles compétences et par une adaptation importante des comportements, chez le soignant comme chez le soigné. Dans la perspective de l’inclusion du patient comme partenaire à part entière de son équipe, ce dernier est appelé, au même titre que les intervenants, à développer et à maintenir diverses compétences.

Communes à chaque rôle et complémentaires aux compétences CanMEDS, se trouvent les attitudes CanMEDS . Par ordre alphabétique : altruisme , écoute , empathie , engagement , honnêteté/intégrité , introspection/humilité , ouverture d’esprit , respect , rigueur , et sens des responsabilités . Alors que les étudiants en médecine, incluant ceux du programme de médecine familiale ci-dessus mentionné, sont évalués par rapport à l’acquisition et l’expression de leurs compétences, ceux du programme de mentorat pour pairs-aidants, particulièrement lors de leur stage final, sont évalués sur leurs attitudes CanMEDS . Ils doivent mettre ces attitudes en pratique lorsqu’ils interagissent avec les autres professionnels ou avec les patients suivis par les équipes multi-professionnelles, ainsi qu’entre eux et par rapport à eux-mêmes. Lors des activités d’éducation thérapeutique du patient qu’ils pourront proposer, leur fonction consistera à stimuler la reconnaissance et l’expression de ces mêmes attitudes chez leurs (futurs) pairs-aidés face à eux-mêmes en tant que patients-apprenants. Faisant écho au schéma qui a été dessiné pour illustrer les éléments et les interdépendances des sept rôles CanMEDS incarnés par les médecins , la « marguerite » suivante illustre la fluidité des attitudes CanMEDS et leurs chevauchements ( figure 2.2 ).

Figure 2.2: Les attitudes CanMEDS de la formation à la pair-aidance

Figure 2.2: Les attitudes CanMEDS de la formation à la pair-aidance

Image adaptée du schéma de compétences CanMeds pour les médecins, avec l'autorisation du Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada

Pairs-aidants en tant qu’émulateurs et experts du rétablissement

En présence d’une maladie mentale persistante, en plus de l’information de base pour comprendre l’étiologie de la maladie, il est surtout nécessaire d’apprendre et de mettre en pratique des façons de vivre au quotidien malgré et au-delà de la persistance de cette maladie. Cette expérience du rétablisse ment en santé mentale, expérience dans laquelle se cache souvent une authentique sagesse populaire, est particulièrement propice au partage entre des pairs étant ou ayant été aux prises avec des défi s similaires. Ils peuvent partager entre eux des stratégies d’adaptation et apprendre les uns des autres par émulation et imitation , la relation pair-à-pair étant pour ainsi dire vieille comme le monde et s’y prêtant bien puisque c’est essentiellement par imitation que nous apprenons. Quant au pair-aidant (Belgique et Québec), ou au médiateur de santé– pair (France) ou encore au pair praticien en santé mentale (Suisse), il s’agit davantage que d’un patient partenaire qui partage son expérience personnelle avec ses pairs. Il s’agit, certes, d’abord d’un pair avec cette expérience personnelle, mais dont les attitudes , les aptitudes et la formation en font un modèle de rétablissement positif, autant pour les soignants que pour les soignés. Il apporte du soutien psychosocial aux personnes qu’il accompagne et ce, en facilitant leur maintien dans la communauté à titre de citoyens à part entière. Le pair-aidant favorise ainsi la reconnaissance , par les pairs aidés, de la valeur de leur propre vécu et savoir expérientiel, savoir parfois méconnu et souvent sous-estimé chez ces personnes. Le but est de développer des techniques de reconnaissance de ce savoir expérientiel qui soient mobilisables dans la communauté et au quotidien. Il existe maintenant plusieurs formules de formation de pairs-aidants et qui ont chacune leur valeur et utilité propre. Elles se situent la plupart du temps au niveau de l’éducation permanente ou de la formation continue, soit comme complément à une formation initiale de base pour l’exercice d’un métier. Ce dont nous discutons ici, c’est d’une formation de base universitaire de pairs-aidants en sciences de la santé. En tant qu’experts médicaux qui dispensent des soins sécuritaires et de qualité centrés sur les besoins du patient, les médecins s’appuient sur un ensemble évolutif de connaissances, ainsi que sur leurs habiletés cliniques et leurs valeurs professionnelles. Ils recueillent et interprètent des informations, prennent des décisions cliniques et effectuent des interventions . Ils posent ces gestes dans les limites de leur champ de pratique et de leur expertise. Leur prise de décision, basée sur les lignes directrices et les données probantes issues de la recherche, tient compte de la situation du patient et de ses préférences, ainsi que des ressources disponibles. Leur pratique est régulièrement mise à jour et conduite en partenariat avec le patient, sa famille et ses proches aidants, d’autres professionnels de la santé et la collectivité. Les pairs-aidants ne sont bien sûr pas des médecins, mais la rigueur propre à cette formation médicale peut inspirer la formation des pairs-aidants pour que les uns et les autres puissent se rejoindre sur un même registre relationnel en se complémentant dans leurs fonctions. Il s’agit de renforcer cette complémentarité . En tant qu’experts du rétablissement, les pairs-aidants contribuent à la mobilisation du potentiel de résilience chez leurs pairs-aidés. Ils les aident à devenir et rester les premiers artisans de leur propre parcours, global, de rétablissement dans la communauté, et donc à être encore plus que des patients partenaires de leurs soins dans les services. Pour y parvenir, les pairs-aidants doivent faire preuve d’un ensemble d’attitudes à la fois envers leurs pairs-aidés et envers leurs collègues professionnels dans ces structures de soins et services afin de pouvoir faire le pont. Il n’est évidemment pas interdit aux médecins de témoigner de ces mêmes attitudes, ils le font en réalité très souvent, mais tel que dit plus haut, c’est d’abord sur l’exercice de leurs compétences CanMEDS qu’ils sont évalués lors de leur formation. Le travail des pairs-aidants est quant à lui évalué sur l’expression de leurs attitudes pour faire valoir non seulement leurs compétences, mais surtout celles des pairs-aidés. Pour cela les pairs-aidants et les pairs-aidés doivent d’abord se rejoindre dans un rapport d’égal à égal pour se reconnaître des compétences et des capacités à travers des manifestations concrètes et observables. Un effet miroir est recherché pour que le pair-aidé ait l’impression de reconnaître quelqu’un de familier chez le pair-aidant, et inversement, de sorte que le pair-aidant favorise activement cet effet de reconnaissance mutuelle. Ainsi, le pair-aidant utilise judicieusement et avec parcimonie, au bénéfice du pair-aidé, son expérience personnelle en la partageant à travers des manifestations de capacité et donc, de compétence. L’effet miroir recherché a cependant cette particularité d’être en réfraction. C’est-à-dire qu’à mesure que se développe la relation pair-aidant-pair-aidé, cette pair-aidance ne consiste pas seulement à refléter le plus fidèlement possible la situation du moment, et à faire preuve de compréhension empathique face à celle-ci, mais à en projeter le reflet vers un avenir meilleur sous le prisme de l’espoir appuyé par la reconnaissance capacitaire. En écoutant le pair-aidé dans l’expression de ses besoins et dans l’expression de solutions recherchées en situation d’adversité, le pair-aidant se dispose de manière à pouvoir encourager et reconnaître une manifestation de capacité chez le pair-aidé qui découle de son savoir expérientiel à lui. C’est alors qu’il y a pairage des manifestations de capacité du pair-aidé avec celles du pair-aidant. Le pair-aidant pourra en effet partager la façon dont s’est manifestée sa propre capacité dans une situation de vulnérabilité identique à celle rapportée par le pair-aidé, et lui faire réaliser qu’il s’agit d’une manifestation de compétence propre. Au terme de sa formation , le pair-aidant sera donc un facilitateur, un accompagnateur, un pédagogue, bref un mentor auprès des pairs-aidés. Il contribuera ainsi à un environnement d’écoute , de prise de parole et de soutien. Il suscitera et rendra plus facile la traduction du point de vue des pairs-aidés, tout en favorisant également la compréhension par ceux-ci du discours des intervenants, discours qui emprunte parfois une terminologie hermétique pour des non-initiés. Tout ceci passe essentiellement par la communication bidirectionnelle en tant que porte-parole : porte-parole traductrice des pairs-aidés envers les professionnels et porte-parole traductrice des professionnels envers les pairs-aidés. Ce modèle de formation favorise en principe cette respectueuse symétrie des savoirs des uns et des autres.

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© 2021 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Jean-François Pelletier Préfaces du Dr Roger Ng et du Pr Nicolas Franck Postfaces de Paul Dileo, Larry Davidson et Michael Rowe et du Dr Patrick Cossette

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