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La psychothérapie centrée sur les émotions

France | 7 octobre 2020

Par Monique R

La psychothérapie centrée sur les émotions

La psychothérapie centrée sur les émotions

Nous vous proposons de découvrir un extrait de l'ouvrage La psychothérapie centrée sur les émotions(S’ouvre dans une nouvelle fenêtre)

La psychothérapie centrée sur les émotions

La psychothérapie centrée sur les émotions

Sommaire de l'ouvrage

Racines et place de l'approche centrée sur les émotions -

  1. Bases théoriques et méthodologiques de la thérapie centrée sur les émotions

  2. Tâches dans le processus thérapeutique

  3. Adaptations spécifiques de la psychothérapie centrée sur les émotions

  4. Thérapie de couple centrée sur les émotions

  5. Validation empirique de la psychothérapie centrée sur les émotions : mécanismes de changement, tâches et résultats thérapeutiques

  6. Devenir psychothérapeute centré sur les émotions

  7. Perspectives : vers une approche spécifique et intégrative.

Nous vous présentons le début du chapitre 5, Thérapie de couple centrée sur les émotions

auteurs de ce chapitre : Catalina Woldarsky Meneses, Normand Gingras, Emna Ragama

plan de ce chapitre
  • Fondements historiques et théoriques

  • Une approche empirique

  • La TCE-C selon Johnson

    • Survol des principes clés

    • Les interventions

    • Travail sur les blessures

  • La TCE-C selon Greenberg et Goldman

    • Survol des principes clés

    • Les interventions

    • Travail sur les blessures

  • Conclusion

Thérapie de couple centrée sur les émotions

La psychothérapie centrée sur les émotions appliquée au contexte conjugal nécessiterait un ouvrage en soi. Elle a connu d’immenses développements depuis son émergence en 1988. Son application illustre la force et la faisabilité du modèle centré sur les émotions, et rejoint un intérêt de beaucoup de thérapeutes de couple désireux d’intervenir directement sur les émotions dans le contexte conjugal. Nous allons donner d’abord quelques éléments historiques, puis présenter un survol des aspects théoriques ainsi que des développements selon deux variantes théoriques, celle de Johnson (1996, 2004, 2019) et celle de Greenberg et Goldman (2008) (Greenberg et Woldarsky Meneses, 2019).

Fondements historiques et théoriques

Dans les années 1980, Leslie Greenberg, ses étudiants, et plus particulièrement sa doctorante, Sue Johnson, mettent en place un programme de recherche à l’université de Colombie-Britannique (Canada). De ces études, qui utilisent l’analyse de la tâche thérapeutique, découle la thèse de master de S. Johnson. La TCE-C est officiellement apparue en 1988, avec la publication du premier livre de L.Greenberg et S.Johnson.

Les auteurs y décrivent un modèle thérapeutique qui intègre des éléments de la thérapie systémique , comme l’importance de se focaliser sur les cycles interactionnels existant entre les membres du système (Minuchin et Fishman, 1981), notamment en utilisant les techniques de mise en acte (enactments). De même, bien sûr, ce modèle thérapeutique intègre des éléments des thérapies expérientielles et des techniques Gestalt (Perls, 1969 ; voir chapitre 1). De manière spécifique pour la TCE-C, les émotions sont au cœur du modèle interactionnel de couple. Ce n’est qu’au travers de la dimension affective, de la manière dont les partenaires se sentent et peuvent accueillir le ressenti de l’autre, qu’il peut y avoir un changement relationnel au niveau des perspectives et des actes de chacun. Chaque partenaire est très attentif aux signaux émotionnels de son partenaire. Il les lit avec beaucoup de soin et réagit en conséquence, et la différenciation en types d’émotions s’applique (voir chapitre 2 ; Greenberg, 2002 ; Greenberg et Paivio, 1997 ; Greenberg et Safran, 1987).

La réceptivité et l’accessibilité émotionnelle du partenaire sont des concepts centraux dans la perspective de l’attachement, appliquée au champ du couple. À l’époque, les notions d’attachement en clinique n’en étaient qu’à leurs débuts ( Weiss, 1982 ; voir chapitre 2), et l’application au contexte conjugal permettait une meilleure compréhension des dimensions caractérisant les liens affectifs au sein du couple. Dans cette perspective, les conflits relationnels résultent le plus souvent de blessures affectives non exprimées provenant de besoins inassouvis d’attachement (proximité, disponibilité et sensibilité) et identitaires (acceptation, valorisation, voir chapitre 2). Ces conflits se visualisent au travers de dynamiques cycliques négatives, caractérisées par des interactions intenses et des profils de réponses émotionnelles. Par exemple, un partenaire pourrait reprocher à l’autre : « Tu es tellement fermé… tu as peur de l’intimité ! » L’autre partenaire pourrait alors répliquer : « Tu es tellement exigeant » ou « Tu es tellement demandant ! ». Dans cette dynamique d’attaque et de défense, la réponse de l’un invalide celle de l’autre. Cela tend à augmenter la réactivité émotionnelle et à intensifier la dynamique du conflit de couple.

Le changement thérapeutique en TCE-C ne découle pas d’une catharsis, ou d’une amélioration de compétence ou d’une nouvelle compréhension, mais de la sensibilisation et l’expression d’une nouvelle expérience émotionnelle qui transforme la nature du cycle interactionnel du couple. L’antidote aux conflits réside dans l’expérience de chacun d’exprimer sa vulnérabilité (i.e., expression des émotions primaires sous-jacentes), couplée à l’expérience qu’elle puisse être accueillie et reconnue de manière empathique par l’autre. Les changements de la dynamique du couple se font en accédant à des émotions sous-jacentes vécues par chacun des partenaires en vue de créer de nouvelles expériences émotionnelles correctrices où l’ouverture mutuelle, la réceptivité et la validation font place aux nouveaux types d’interactions qui rétablissent la confiance et rapprochent – au lieu d’éloigner – les partenaires ( Greenberg et Johnson, 1988 ). Lorsque les deux partenaires réalisent l’influence de la manière dont ils expriment leurs émotions sur leur cycle négatif , ils peuvent être encouragés à prendre le risque d’exprimer leurs émotions sous-jacentes et ainsi s’engager dans un nouveau type d’interaction.

Une approche empirique

La TCE-C est une approche empiriquement validée par de nombreuses études ( Snyder, Castellani, & Whisman, 2006 ; Johnson, Hunsley, Greenberg, & Schindler, 1999 ; voir chapitre 6). Ces dernières ont démontré que l’expérience de l’expression émotionnelle est au coeur de la résolution des conflits (Greenberg, Ford, Alden, & Johnson, 1993 ; Greenberg, James, & Conry, 1988 ; Greenberg et Johnson, 1986 , 1988 ; Plysiuk, 1985 ). Des recherches récentes ont également démontré que l’expression en séance d’émotions vulnérables prédisait les résultats thérapeutiques positifs (McKinnon et Greenberg, 2013). On remarque qu’au cours de la dernière décennie, la recherche portant sur la théorie de l’attachement et sur son application aux relations de couple a connu un engouement sans précédent, favorisant sa pertinence pour les thérapeutes TCE-C (Johnson et Denton, 2002). Ce traitement s’applique à divers types de problématiques, comme la dépression ( Dessaulles, Johnson, & Denton, 2003 ; Whiffen et Johnson, 1998), l’état de stress post-traumatique (Johnson, 2002) et la douleur chronique (Knowal et al., 2003). En outre, les stratégies et techniques de la TCE-C s’appliquent aussi aux familles en détresse ( Johnson, Maddeaux, & Blouin, 1998 ). La contre-indication principale reste la présence de violence conjugale.

Depuis leur fondation de la thérapie de couple, Johnson et Greenberg ont progressivement différencié leur conceptualisation théorique de la dynamique interpersonnelle, donnant naissance à deux branches de la TCE-C. D’une part, celle développée par Johnson et ses collaborateurs, qui met l’accent sur la notion de l’attachement. D’autre part, celle de Greenberg et Goldman, qui met l’emphase sur la régulation des affects au travers des deux dimensions de base de l’attachement et de l’identité. Nous allons présenter brièvement ces deux approches.

La TCE-C selon Johnson

Survol des principes clés

Inspirée par les travaux de Bowlby (1969a, b, c, 1973, 1988, 1989), l’approche TCE-C de S. Johnson (1996, 2004) met l’accent sur l’attachement en la considérant comme la force centrale qui organise les dynamiques des couples.

L’attachement

Selon Johnson (2004) , les êtres humains ont un besoin inné de maintenir la proximité avec un autre significatif. Un lien d’attachement dit « sécurisant » implique une accessibilité mutuelle et une réceptivité émotionnelle.Cela amène un sentiment de sécurité qui permet à l’individu de « réguler ses émotions, de traiter l’information, de résoudre des problèmes, de mieux composer avec les différences et de communiquer clairement » (Johnson, 2008 , p. 112), en plus de promouvoir l’autonomie et la confiance en soi (Johnson, 2004). Un lien d’attachement vulnérable provoque souvent des émotions désagréables au sein d’une interaction négative. Les besoins des partenaires n’y sont que partiellement remplis malgré leurs tentatives en ce sens ( Johnson, 2004 , 2008). Établir un lien d’attachement sécurisant fournit le remède nécessaire permettant aux couples d’exprimer leurs émotions et leurs besoins avec précision et efficacité et de se sortir de leur cycle d’interaction négative (Johnson, 2004). Cette approche suppose que l’insécurité entre adultes et la détresse de séparation sont les éléments qui soustendent les problèmes relationnels. Les besoins et désirs d’attachement étant essentiellement sains et adaptatifs, c’est dans la façon dont ces besoins et désirs sont exprimés que les problèmes surviennent. La dynamique interpersonnelle qui organise les interactions et façonne l’expérience émotionnelle dominante de chacun prend ainsi la forme d’un cycle réciproque de réactions d’autorenforcement caractérisé par des émotions négatives intenses.

Les cycles interactifs

La dynamique interpersonnelle est « le client » en TCE-C. Le but de la thérapie est alors de restructurer cette dynamique, par la création, dans le contexte présent, de nouvelles expériences émotionnelles caractérisées par des interactions qui favorisent un attachement sécurisant. Cette nouvelle dynamique agira comme antidote au cycle interactif négatif et elle redéfinira la dynamique interpersonnelle comme havre sécuritaire. Le modèle décrit quatre dynamiques interpersonnelles négatives, nommées en termes de comportements affectifs de chaque partenaire .

Cycle interactif poursuiveur/poursuivi

Ce cycle est de loin le plus commun. Un des partenaires dit « poursuiveur »se montre exigeant, voire agressif, interagit avec un partenaire dit « poursuivi », qui demeure en retrait et qui est plus distant au niveau émotionnel. On peut comprendre la position de poursuiveur comme une protestation contre la séparation émotionnelle et celle de retrait comme une protection, un engourdissement face aux attaques de l’autre et qui à son tour déclenche une « panique » ou une agression chez le poursuiveur qui exige une réaction de la part de son conjoint. La plupart des autres dynamiques sont une variante de celle-ci. Le plus souvent, la conjointe est dans la position du poursuiveur et le conjoint est dans celle du poursuivi.

Par exemple, Janie se sent seule et mal-aimée dans sa relation de couple, ce qu’elle exprime à son conjoint Guillaume sous forme de reproches et de critiques : « Tu n’es pas là pour moi, je ne peux pas compter sur toi, tu ne t’intéresses qu’à toi… » Guillaume a l’impression qu’il est inadéquat. Ce message est douloureux pour lui, alors il s’engourdit et se retire, en confirmant alors à Janie qu’elle doit se sentir seule et qu’il n’est pas là pour elle.

Cycle interactif poursuivi/poursuivi (ou retrait-retrait)

Dans cette dynamique, les partenaires évitent de s’engager émotionnellement et, face au conflit, ils se retirent l’un de l’autre. La plupart du temps, il s’agit d’une dynamique « poursuiveur/poursuivi » où le poursuiveur a progressivement ou soudainement abandonné la poursuite. Ce désengagement du poursuiveur peut indiquer le début du deuil de la relation, ce qui le conduira à un état de détachement. Autrement, il peut s’agir d’un poursuiveur « timide » qui éprouve une grande anxiété et qui abandonne la poursuite rapidement. Ces cycles sont difficiles à maintenir sur le long terme et se caractérisent par de l’engourdissement , la distanciation , le retrait et le refus d’engager l’autre.

Par exemple, une épouse poursuiveuse abandonne la poursuite au fil des ans et se tourne graduellement vers ses amis/amies à l’extérieur de la relation conjugale. L’époux poursuivi ne s’en rend pas compte. Au bout de quelques années, par exemple lors du départ des enfants, elle lui annonce qu’elle le quitte. Il réagit en paniquant et en la poursuivant intensivement de peur de la perdre, ce qui peut provoquer la décision d’entamer une démarche de thérapie.

Cycle interactif poursuiveur/poursuiveur (ou attaque-attaque)

Normalement, ce cycle est le résultat d’une escalade d’un cycle poursuiveur/poursuivi où le partenaire poursuivi, lorsque provoqué, s’enflamme à son tour et répond à l’attaque par l’attaque. Suite à la dispute, le poursuivi se retire dans sa position habituelle jusqu’à ce qu’il soit provoqué à nouveau. Ces cycles caractérisent les couples très actifs, voire agressifs, et sont facilement reconnaissables. Souvent les thérapeutes sont intimidés par les couples pris de ce type de cycle.

Cycles complexes

Il s’agit d’une combinaison des cycles décrits ci-dessus, souvent lorsque l’un ou l’autre des partenaires souffre de traumatisme et où le niveau d’anxiété et d’évitement est élevé. Avec ce type de cycle, la séquence sera plus compliquée et pourrait exiger plus de temps à cerner pour le thérapeute.

Par exemple, le mari fait des demandes exigeantes pour recevoir l’attention et la reconnaissance de sa conjointe. Elle se retire, ce qui provoque une escalade d’exigences de la part du mari et où la conjointe finit par se défendre en attaquant à son tour. Par la suite, les deux se retirent et la conjointe tombe dans une déprime qui dure quelques jours. Le mari reprend la poursuite doucement, elle répond graduellement et ils s’enlisent dans une période intensive de retrouvailles au niveau sexuel. Quelques jours plus tard, le cycle reprend à nouveau.

Les interventions

Le processus : les stades

Dans sa conception initiale, la TCE-C correspond à une démarche de traitement en neuf étapes regroupées en trois stades. Ces étapes se succèdent et s’imbriquent les unes dans les autres, la suivante incorporant les éléments de la précédente. Chez un couple affi chant un niveau moyen de détresse, les partenaires franchissent les étapes plutôt rapidement et au même rythme. Lorsque le seuil de détresse est plus élevé, le partenaire plus passif ou plus retiré est invité à prendre les devants dans les étapes. Le thérapeute doit donc veiller à ce que ce partenaire s’engage émotionnellement et puisse rassurer l’autre sur sa disponibilité et son soutien. L’assurance de cet engagement aidera le partenaire plus critique et actif à s’adoucir, à adopter une attitude plus conciliante.

Stade 1. Évaluation et « désescalade »

La thérapie tente d’abord de rendre explicite la dynamique, à savoir « les pas de cette danse » en soulignant certaines émotions, comportements et prises de position chez l’un et chez l’autre, sans toutefois vouloir changer cette dynamique. Ce stade comprend quatre étapes qui sont la création de l’alliance thérapeutique avec la détermination des sujets de conflit, la reconnaissance de la dynamique dysfonctionnelle et des enjeux de l’attachement, l’accès aux émotions primaires qui sous-tendent l’attachement et, finalement, l’évaluation et la désintensifi cation des cycles interactionnels problématiques. Il s’agit, vers la fi n de ce stade, de donner aux partenaires une méta-perspective de leur propre dynamique.

Dans cette optique, en conformité avec le concept de causalité circulaire tributaire de la pensée systémique où la cause provoque un effet qui, à son tour, est la cause de l’événement suivant, les partenaires sont à la fois les acteurs et les victimes d’une dynamique qu’ils créent involontairement par une régulation émotionnelle inflexible. Cela engendre une dynamique dont les patterns d’interaction deviennent très contraignants, ce qui favorise alors une régulation contraignante des émotions. Il s’agit donc d’un cercle vicieux duquel il devient très difficile de s’extraire. En présentant la dynamique de cette manière au couple, on évite que les partenaires se blâment l’un et l’autre, et on promeut qu’ils mettent plutôt le blâme sur la dynamique interpersonnelle. À la fin du stade, il y a une désintensification. Le thérapeute, avec la participation des partenaires, propose une reformulation du problème qui résonne avec le vécu de chacun et qui cible la dynamique interpersonnelle, plutôt que l’autre partenaire, comme l’ennemi à vaincre. Les partenaires s’aperçoivent qu’ils participent, sans le vouloir, à créer « leur propre misère ». S’ils acceptent cette reformulation, les changements qu’ils doivent apporter à leurs comportements deviennent plutôt évidents. En revanche, si la thérapie s’arrête à ce stade, il est peu probable que le couple soit en mesure de maintenir ses gains sans sombrer de nouveau dans la dynamique dysfonctionnelle. Une nouvelle dynamique, qui promeut la sécurité d’attachement et des émotions positives, doit être mise en place.

Stade 2. Changements dans les prises de position interactionnelles

Ce stade comprend trois étapes qui visent à rendre explicites les besoins, les peurs et les croyances sur soi, ensuite de promouvoir l’acceptation de ceux-ci chez l’autre partenaire. Enfin, il s’agit de favoriser l’engagement émotionnel et l’expression des besoins de chacun, en suscitant et façonnant les événements clés de changement. C’est au sein de cet événement critique de rapprochement affectif (bonding event) que chaque partenaire est invité à changer sa prise de position, à se risquer à faire confi ance à l’autre et ainsi à participer à la transformation de la dynamique interpersonnelle. Le but premier est d’amener le partenaire poursuivi à se réengager dans la relation et à réclamer vigoureusement les conditions de son réengagement. Par exemple, un homme pourrait dire à sa conjointe : « Je veux être là pour toi. Je sais que je suis distant, c’est ma façon de me protéger. Mais je ne peux plus supporter toutes ces attaques. Je veux qu’on trouve une autre façon. » Un second objectif est d’obtenir le « relâchement » de la prise de position amère et critique du partenaire poursuiveur, en encourageant une prise de position plus vulnérable qui lui permette de demander que soient comblés ses besoins d’attachement. Ce relâchement émotionnel favorisera une réponse positive de la part de l’autre, qui n’aura pas à contrer sa colère et sa critique. À la fin de ce stade, une nouvelle forme d’engagement émotionnel est possible. Le thérapeute encouragera ces moments d’engagement pendant la séance, en sachant qu’ils peuvent également avoir lieu à l’extérieur de la thérapie. Les partenaires sont alors plus en mesure de se confier et de trouver le réconfort auprès de l’autre, qui est dorénavant plus accessible, attentif et soutenant.

Stade 3. Consolidation des changements, intégration à la vie de tous les jours

Ce stade a pour but de bien ancrer les nouvelles prises de position et d’intégrer ces changements à la vie de tous les jours. Le thérapeute peut revoir les progrès de chaque partenaire au cours de la démarche thérapeutique tout en favorisant une narration cohérente de son parcours. Il peut également soutenir les partenaires dans la résolution de problèmes concrets qui, autrefois, auraient eu des effets néfastes sur leur relation. Cela s’avérera beaucoup moins difficile étant donné que ces problèmes ne seront plus teintés d’un affect négatif envahissant, car ils ne menacent plus la relation. Les partenaires sont en mesure d’affi cher ouvertement leurs besoins d’attachement et les émotions primaires qui leur sont tributaires. Pour le partenaire plus en retrait, il s’agit de démontrer sa disponibilité, son soutien et son besoin de valorisation, alors que pour le partenaire plus actif, il s’agit d’exprimer sa peur d’abandon et son désir de proximité. Ces expressions interpellent de nouvelles réponses chez l’autre, constituant ainsi l’établissement d’une dynamique différente caractérisant une relation sécurisante. Lorsque le couple franchit ces étapes avec succès, il semble être en mesure de résoudre des conflits de longue date et de régler des problèmes concrets, ces derniers étant maintenant dénués de leur connotation de menace de l’attachement.

Interventions thérapeutiques

Dans un premier temps, les interventions peuvent viser le maintien de l’alliance thérapeutique ou la prise de conscience élargie d’un sentiment, d’une émotion, ces deux visées contribuant à la prise de conscience de la dynamique interrelationnelle, avec les prises de position de chacun, leurs émotions primaires et secondaires, leurs comportements et perceptions. Il y a souvent un élément de recadrage positif visant à encourager le développement d’une vision positive d’autrui. À la lumière de la théorie de l’attachement, même les comportements les plus inusités sont interprétés comme des tentatives, souvent inefficaces, de rapprochement vers l’intimité et le bien-être conjugal. Dans un deuxième temps, les interventions viseront la restructuration de la dynamique interactive où le poursuivi sera encouragé à prendre une place plus active dans la relation et où le poursuiveur sera encouragé à faire confiance à son conjoint en « relâchant » sa prise de position amère et critique et en demandant à l’autre de répondre à son besoin d’affection. Dans la TCE-C, on fait appel aux interventions suivantes pour démarrer et faire avancer le processus thérapeutique. Les mêmes interventions pourront servir des objectifs différents, en fonction du stade dans lequel le couple se trouve.

Refléter l’expérience émotionnelle

Il s’agit de se concentrer sur le processus de la thérapie, construire et maintenir l’alliance et clarifier les réponses émotionnelles sous-jacentes aux prises de position interactionnelles. Le reflet est l’intervention de base ; on souligne ici l’importance d’un accordage au niveau de l’empathie et de la dynamique interactive.

Thérapeute : « Pourriez-vous m’aider à comprendre ? Je crois que vous dites que vous devenez si déprimé, si découragé dans ces situations que vous vous trouvez à vouloir prendre le contrôle de tout, parce que le sentiment d’être découragé est tellement envahissant. Est-ce bien cela ? Dès lors, vous commencez à faire des reproches à votre femme. Est-ce que je comprends bien ? »

Valider l’expérience de chaque partenaire

Légitimer les réponses et encourager les clients à continuer l’exploration, à savoir comment ils construisent leurs expériences et leurs interactions ; construire l’alliance.

Thérapeute : « Bien sûr, je vous comprends, vous vous sentiez si désemparé que vous ne pouviez pas vous reposer, c’est normal dans ces circonstances. Lorsque vous êtes si démoralisé, vous ne pouvez même pas vous relâcher. Est-ce bien cela ? »

Questions et réponses évocatrices : refléter et questionner

Rendre plus explicites certains éléments marginaux de l’expérience afin de promouvoir la réorganisation de celle-ci ; formuler des éléments incertains et marginalisés de l’expérience et encourager l’exploration et l’engagement. Cela peut se passer par des questions ouvertes, les stimuli, les réponses physiologiques des partenaires, les désirs qui leur sont associés et la signification ou la tendance à l’action.

Thérapeute : « Qu’est-ce qui vous arrive en ce moment, lorsque vous entendez votre conjoint vous dire à quel point il s’est senti seul ? » ; « Comment vivez-vous cela ? » ; « Lorsque cela arrive, une partie de vous désire s’enfuir, si j’ai bien compris… ».

Rehausser les réponses émotionnelles et les positions interactionnelles

Souligner les expériences clés responsables des réponses envers le partenaire et les nouvelles formulations des expériences qui vont réorganiser la dynamique interrelationnelle. Il s’agit d’utiliser des répétitions, images, métaphores ou mises en acte.

Thérapeute : « Pourriez-vous lui dire cela, directement à elle, à quel point vous avez peur ? » ; « Il semble que cela soit très difficile pour vous, comme d’escalader une montagne, c’est très épeurant » ; « Pouvez-vous vous tourner vers lui et lui dire : “C’est trop difficile à demander. C’est trop difficile à demander que tu me tiennes la main” ? ».

Émettre des suppositions de manière empathique ou proposer une interprétation

Clarifi er et formuler de nouvelles interprétations, particulièrement sur les positions interactionnelles et les définitions des schèmes opérationnels du soi. Ces interventions sont analysées de façon plus détaillée dans Johnson (1996) , y compris les indices spécifi ant le moment où celles-ci sont utilisées et la description des processus dans lesquels les partenaires s’engagent.

Thérapeute : « Vous ne croyez pas que quelqu’un puisse voir cette partie de vous et vous accepter tel quel, est-ce bien cela ? Alors vous avez l’impression que vous n’avez pas le choix, vous devez vous cacher ? »

Suivre, refléter et rejouer les interactions

Ralentir et clarifi er les pas de la dynamique interpersonnelle ; rejouer les séquences interactionnelles clés.

Thérapeute : « Qu’est-ce qui vient tout juste de se passer ? Il semble que vous vous soyez éloignée de votre colère pour un instant et ayez fait appel à lui. Est-ce bien ça ? Mais, Jacques, vous ne portiez attention qu’à sa colère et vous êtes donc resté caché derrière votre barricade. »

Recadrer dans le contexte du cycle et du processus d’attachement

Modifier la signification des réponses spécifiques et favoriser l’adoption de perceptions positives de l’expérience du partenaire.

Thérapeute : « Vous vous paralysez parce que vous vous sentez sur le bord de la perdre, est-ce bien cela ? Vous vous “congelez” parce qu’elle est tellement importante pour vous, et non parce que vous vous en souciez peu. »

Restructurer et former les interactions

Clarifier et rendre plus explicites les dynamiques interrelationnelles négatives. Mettre en jeu les prises de position présentes et les nouveaux comportements fondés sur les nouvelles réponses émotionnelles et « chorégraphier » les événements clés de changement.

Thérapeute : « Pouvez-vous lui dire : “Je vais t’ignorer, tu n’auras pas la chance de me ravager encore une fois” ? » ; « C’est la première fois que vous mentionnez cette honte. Pourriez-vous lui parler de cette honte ? » ; « Pouvez-vous lui demander s’il-vous-plaît ? Pouvez-vous lui demander ce dont vous avez besoin en ce moment ? ».

Technique précise lors des impasses dans le processus de changement

Une impasse peut apparaître par exemple lorsqu’un couple a de la difficulté à s’identifi er à la dynamique interactive négative proposée ou si des émotions très fortes empêchent l’intervention. Le thérapeute peut alors suggérer des images ou raconter des anecdotes représentatives qui relatent de façon très imagée la dynamique dans laquelle le couple se trouve piégé. Ces anecdotes (disquisitions) refl ètent les processus interactionnels du couple, mais avec un certain niveau de détachement ( Millikin et Johnson, 2000 ; Johnson, 1996 ), ce qui les rend moins menaçantes et donc plus susceptibles d’être adoptées comme illustrations de leur propre situation. Il s’agit d’une intervention indirecte qui offre au couple une image claire, sans toutefois exiger de réponse dans l’immédiat.

Thérapeute : « Il y a quelque chose ici qui me fait penser à un autre couple avec qui j’ai travaillé, peut-être que ça ne s’applique pas à votre situation, ce n’est peut-être pas du tout semblable, mais pour ce couple, la conjointe la plus active se rendait au point où elle voulait que l’autre souffre aussi. Elle désirait tellement avoir un contact avec lui, avoir au moins un effet sur cette personne qui semblait étanche et hermétique, qu’elle finissait par le marteler continuellement, juste pour s’assurer qu’elle n’était pas ignorée ou laissée pour compte. L’autre conjoint avait l’impression d’être attaqué, sans relâche et de façon effrénée, et se creusait une tranchée de plus en plus profonde, pour s’arc-bouter, pour accroître sa position défensive. Un genre de “tu ne m’auras pas”, mais ça devenait épuisant de toujours être aux aguets, à anticiper la prochaine fusillade pour l’éviter, toujours prêt à courir et à fuir. Ça devenait une sorte d’enfer pour les deux, mais chacun était tellement pris dans sa position, jamais elle ne cessait ses attaques, jamais il n’abaissait ses défenses… et le plus triste est qu’ils sont restés pris dans cette dynamique pendant des années, voire pendant toute leur vie… jusqu’au moment où elle a appris qu’elle était atteinte du cancer. »

Vous venez de lire les 10 premières pages du chapitre 5 de l'ouvrage La psychothérapie centrée sur les émotions

La psychothérapie centrée sur les émotions © 2020 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Auteurs

Ueli Kramer, Emna Ragama

Ueli Kramer

Psychologue-psychothérapeute FSP et superviseur isEFT, privat-docent à la faculté de biologie et de médecine et au département de psychiatrie-CHUV, Université de Lausanne, Suisse ;

Département de psychologie, Université de Windsor, Canada

Emna Ragama

Psychologue-psychothérapeute FSP, pratique privée à Genève, Suisse

Avec la collaboration de

Normand Gingras Antonio Pascual-Leone Denise Schiffmann Catalina Woldarsky Meneses

La psychothérapie centrée sur les émotions Ueli Kramer, Emna Ragama ISBN 9782294769474 2e édition, 2020

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