Les violences LGBT-phobes
13 décembre 2022
Par Anne Claire Nonnotte
Nous vous proposons de découvrir un extrait de l'ouvrage Santé sexuelle et reproductive des personnes LGBT S’ouvre dans une nouvelle fenêtre
Les violences LGBT-phobes
Introduction
La médiatisation des questions LGBT témoigne de la centralité des situations de violences et de discriminations auxquelles sont confrontées les minorités de genre et de sexualité. La revue de la littérature donne un aperçu de l'étendue des espaces discriminatoires et, à chaque fois, insiste sur les conséquences de ces faits. On pourrait évoquer, sans prétention exhaustive, le champ du travail, de la santé, de l'espace public, de l'école, de la famille, ou bien encore des services publics ou l'espace numérique comme autant de théâtres dont nous parvenons progressivement à comprendre les logiques et à dessiner les contours des pratiques discriminatoires qui s'abattent sur les populations LGBT. Ce texte ne se propose pas de revenir sur l'ensemble de ces points, mais de s'attarder sur trois d'entre eux, marqués par des enquêtes nationales récentes, que sont l'école, l'espace public et la santé. Ce tour d'horizon quantitatif et analytique des expériences homophobes comme transphobes sera précédé par un arrêt définitionnel. Afin de mettre des significations communes sur la terminologie employée, revenons donc un instant sur quelques éléments de vocabulaire.
Sexe, genre, sexualités, etc. : esquisse de définitions
Il est vrai que les questions de genre et de sexualité entraînent avec elles un grand nombre de termes qui nécessitent un rappel définitionnel. Nous distinguerons ce qui concerne les questions sexuelles, ce qui relève de l'identité sexuelle (se dire d'une sexualité), ce qui relève de l'orientation sexuelle (l'inclinaison des désirs) et la pratique sexuelle (au sens du faire). À l'âge que nous étudions, cette nuance n'est pas anodine. Ainsi, les personnes peuvent très bien ressentir une orientation sexuelle sans pour autant l'exprimer, de peur de l'homophobie notamment, ou par absence de mots en capacité de décrire leurs sensations. De même, nous distinguerons aussi les questions d'identité de genre de ce qui relève du sexe assigné à la naissance (celui présent sur l'état civil), ce qui relève de l'expression de genre (ce que nous montrons de notre genre) et ce qui relève de l'identité de genre (le sentiment intime d'appartenir à un genre). En effet, miroir des problématiques susmentionnées, les individus peuvent avoir le sentiment que le sexe qui leur a été attribué à la naissance ne correspond pas à leur identité de genre. Mais, du fait de la transphobie notamment, de nombreuses personnes ne vont pas s'autoriser à exprimer leur identité publiquement. Aux côtés des questions homosexuelles, d'autres termes, peut-être moins maîtrisés, méritent que l'on s'y attarde. C'est le cas du terme de «transidentité», qui renvoie à l'expérience d'une identité de genre qui ne correspond pas au sexe et/ou au genre attribué à la naissance [1]. Cette définition nous renseigne sur la distance prise avec le terme de «transsexualisme» qui, défini à la moitié du XXe siècle, signalait l'existence d'une maladie psychiatrique. Aujourd'hui, le vocabulaire de la transidentité se multiplie et donne à voir des manières de se prononcer et des façons d'être au genre plus variées. On entrevoit notamment le terme de «non-binarité» qui, s'il est récent dans sa médiatisation, témoigne d'identités se situant au-delà des catégories masculines et féminines. La multiplication du champ lexical de la transidentité est toutefois une tendance qui semble s'accélérer ou s'enraciner (selon les auteurs) si l'on en croit des recherches récentes sur cette question [2–5]. Cependant, toutes les définitions de la non-binarité ne se superposent pas complètement. On trouve des définitions génériques, tendant à traduire la non-binarité de genre comme le pendant de la non-binarité sexuelle, à savoir des expériences et des identités de genre qui ne se laissent pas réduire aux expériences et aux identités binaires du masculin et du féminin. Mais certaines objections à cette définition soulignent que la non-binarité de genre est aussi une posture politique de refus des assignations normatives de genre. Si le présent texte n'a pas pour objectif de trancher cette polémique, remarquons que le terme de «non-binarité» peut donc parfois apparaître comme un terme parapluie renvoyant à une diversité d'expériences, d'identités ou de revendications qui défont les traditions genrées par leur fluidité. Ces éléments nous permettront de dégager différents points de discussion comme les difficultés de mesure relative à ces populations [6], ou bien les caractéristiques intrinsèques aux lettres de l'acronyme LGBT, qui n'offre d'unité qu'en comparaison avec un autre groupe, tout aussi protéiforme : les personnes hétérosexuelles et cisgenres. Néanmoins, l'expérience discriminatoire traverse de nombreux parcours, qu'il s'agisse de minorités de genre ou de sexualité. La potentialité comme la réalité de la discrimination, ou de l'injure et du harcèlement à caractère discriminatoire, ont même été pensées comme inaugurales des expériences minoritaires [7], car il n'est pas besoin d'être discriminé pour se savoir discriminable, et celle potentialité-là cristallise des rapports de méfiance, de lutte ou de protection que nous décrirons par la suite.
Discriminations et violences LGBT-phobes : saisir ces notions
Un des enjeux de compréhension des LGBTphobies revient à entendre la question des discriminations, des agressions et des limitations homophobes et transphobes non comme un enjeu uniquement juridique, mais plus encore comme un marqueur subjectif [8]. En effet, la traduction juridique des discriminations a ceci d'excluant que n'est ici pris en compte que ce qui relève effectivement des phénomènes discriminatoires en matière de critères reconnus par le droit, comme de situations d'apparition. Ainsi, si les discriminations se définissent juridiquement par la soustraction d'un droit, la limitation d'un droit ou le conditionnement d'un droit sur des motifs reconnus comme discriminatoires (il y en a actuellement 25 en France dont l'orientation sexuelle réelle ou supposée et l'identité de genre), les émotions citoyennes face aux discriminations et aux violences débordent de ces cadres interprétatifs stricts. Pour reprendre les termes de Vincent Arnaud Chappe, «la notion de sentiment de discrimination renvoie à l'impression subjective d'avoir été victime de discrimination. […] Le sentiment de discrimination est répandu sans pour autant être unanime. Une interrogation récurrente porte sur la correspondance entre ce sentiment de discrimination et la réalité du fait discriminatoire» [9]. Aux côtés des régularités, des récurrences, des répétitions des faits, il faut s'engager, pour suivre les pas de Laplantine, à développer une démarche «permettant d'appréhender les modes de vie, d'action et de connaissance, les manières d'être, et plus précisément encore, les modulations des comportements, y compris les plus apparemment anodins, non seulement dans la relation à l'espace, mais dans la dimension du temps, ou plutôt de la durée» [10]. En d'autres termes, nous nous attardons sur l'hybride des situations, sur les interruptions et les régularités certes statistiques, mais aussi émotionnelles. Au-delà de cette lecture des subjectivités, les discriminations doivent être mesurées. Si la production des chiffres de la discrimination est traversée par des enjeux multiples [11], les enquêtes disponibles ont surtout eu pour méthode des apports bien souvent qualitatifs, observationnels et plus rarement quantitatifs. C'est pourquoi les axes retenus pour ce texte (l'école, l'espace public et la santé) sont tous issus de travaux à la fois qualitatifs et quantitatifs, permettant de croiser les dimensions objectives et subjectives des faits discriminatoires que subissent les personnes LGBT. On soulignera néanmoins que la mesure des discriminations n'est pas égalitaire entre les différentes lettres de l'acronyme LGBT et que, dans le monde de la recherche française, rares sont les enquêtes quantitatives sur cette question [12, 13].
Discriminations et violences à l'encontre des minorités de genre et de sexualité/ la famille et l'école comme terreau des LGBT-phobies
Dans son baromètre DJEPVA de 2022 sur la jeunesse, l'Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire (INJEP) dévoile certaines données actualisées concernant les discriminations vécues par les jeunes gays et lesbiennes, et ce dans différents contextes de la vie quotidienne. Ainsi, selon l'institut, 34 % des jeunes ont été victimes de discriminations au cours de l'année écoulée, et pour 62 % d'entre elles et eux, les questions d'orientations sexuelles intervenaient au moins une fois dans le processus discriminatoire à l'université ou à l'école, 58 % dans les espaces de loisirs, 54 % dans les relations avec les services publics. Ces données sont similaires aux discriminations subies en fonction du sexe de la personne. Des taux élevés donc, qui dénotent la persistance des normes hétérosexistes dans toutes les sphères de la vie, mais aussi d'une capacité plus grande de dénonciation des jeunes face aux discriminations. On le sait, l'expérience scolaire des LGBT est marquée par un nombre d'écueils qui les éloignent d'une participation scolaire pleine et entière. Et pourtant, la scolarité et la santé des mineurs LGBT scolarisés apparaît tardivement dans le champ de la recherche académique française [14]. C'est face à ce constat que la recherche pluridisciplinaire «SANTÉ LGBT» a tenté de dessiner plus précisément les contours de l'expérience des personnes (et des jeunes) LGBT, dans une recherche par questionnaire et par entretiens [15]. Les recherches qualitatives sur la question du vécu des minorités sexuelles scolarisées ont montré avec précision un continuum net entre le sexisme et les homophobies [16]. L'enquête susmentionnée montre par exemple que 50 % des jeunes homosexuels ont ressenti des discriminations durant leur parcours scolaire, collège et lycée confondus. Plus encore, la même enquête souligne que moins de 20 % des collégiens et des lycéens LGBT ont su trouver des personnes ressources au sein des établissements pour en parler. Discriminations et isolement semblent les deux faces d'une même pièce en matière de discriminations LGBT-phobes. On devra néanmoins signifier une différence statistique entre le collège et le lycée, puisque ces faits apparaissent plus dans le premier que le second – respectivement 73 % et 57 % des jeunes LGBT s'y sont sentis « (plutôt) pas bien». Parmi celles et ceux qui parlent de ces événements à des proches, rares sont les cas où les adultes encadrants apparaissent comme des ressources (on entend par adultes encadrants l'ensemble des adultes présents dans l'établissement). Plus précisément, moins de 10 % des jeunes gays, lesbiennes ou bisexuel(le)s privilégient l'équipe encadrante pour évoquer leurs expériences de violences. Si «en parler» nécessite de savoir «de quoi» parler, avec quels mots, cela nécessite aussi un climat de confiance. Or, sur cette question, 7,1 % des répondant(e)s de l'enquête se déclarent par exemple pansexuel(le)s (principalement des moins de 25 ans); mais à qui énoncer ces identités encore peu connues du grand public ? Comment faire reconnaître ces identités? Quelles représentations pèsent sur ces jeunes, en matière de réception incertaine notamment. Les réseaux sociaux et les amis sont de loin perçus comme des ressources premières… avant les parents. Loin de l'idée que les réseaux sociaux seraient uniquement des lieux d'agression, ils se présentent ici comme des lieux de soutien. Il se dessine également une mouvance générale qui mérite l'attention : l'augmentation tendancielle des identifications par soi (queer, pansexuel[le]s) ne répond pas toujours aux grammaires connues et maîtrisées par les adultes en milieu scolaire (gays ou homosexuel[le]s). Ce différentiel a pour principale conséquence le sentiment, de la part de ces mêmes mineurs, d'être niés, incompris; de ne pas pouvoir, en creux, être écoutés. Il en découle une méfiance : à quoi bon en parler? Il est aussi à souligner que dans le cadre des études françaises sur les mineurs LGBT, les personnes trans et intersexes sont les grandes oubliées des recherches comme des politiques, du moins si l'on se retourne sur un temps long. Pourtant, les chiffres de l'enquête mentionnée ci-dessus mettent l'accent sur l'urgence à penser aussi, et peut-être surtout, ces populations en termes de décrochage scolaire et de santé scolaire. Par exemple, plus de 82 % des personnes trans et intersexes interrogées (n = 257; 217 trans et 40 intersexes) ont jugé leur expérience scolaire (plutôt) mauvaise. Ce taux, comparable aux différentes mesures du climat scolaire dans les établissements, indique une dégradation considérable des expériences vécues par ces jeunes. Si l'on regarde le verbatim de cette enquête, c'està-dire les témoignages laissés dans le questionnaire, nous remarquons que les jeunes trans et les jeunes intersexes témoignent de trois ruptures précises :
une absence de réponses adaptées à leurs problèmes administratifs (usage du bon prénom, reconnaissance de l'identité de genre, etc.);
une forte tension relationnelle (harcèlements et violences entre pairs, incompréhension ou violence de certains parents;
une psychiatrisation trop fréquente de leurs demandes de médicalisation et d'hormonothérapie par les infirmiers(ères) scolaires comme par les parents.
Dans ce contexte, il apparaît que les mineurs trans (et leurs parents) doivent bricoler leurs parcours et leurs besoins d'aide, au sein de parcours et de réseaux plus ou moins formels, mal identifiés par l'institution, ajoutant alors aux complications propres aux expériences de genre adolescentes une opacité des solutions présentes. Références
1. Alessandrin A. Sociologie des transidentités. Paris: Cavalier Bleu; 2018. 2. Pullen Sansfaçon A, Medico D. Jeunes trans et non binaires : de l'accompagnement à l'affirmation. Montréal: Éditions du Remue-Ménage ; 2021. 3. Beaubatie E. Transfuges de sexe. Paris: La Découverte ; 2021. 4. Poirier F, Condat A, Laufer L, et al. Non-binarité et transidentités à l'adolescence : une revue de la littérature. Neuropsychiatrie Enfance Adolescence 2018;67(5-6):268–85. 5. Alessandrin A. Au-delà du troisième sexe : expériences de genre, classifications et débordements. Socio 2017;9:201–14. 6. Trachman M, Lejbowicz T. Des LGBT, des nonbinaires et des cases. Catégorisation statistique et critique des assignations de genre et de sexualité dans une enquête sur les violences. Revue Française de Sociologie 2018;59(4):677–705. 7. Eribon D. Réflexions sur la question gay. Paris: Flammarion; 1999. 8. Dubet F, Cousin O, Macé E, Ri S. Pourquoi moi? Paris: Le Seuil; 2016. 9. Chappe VA. Sentiment de discrimination. In: Tharaud D, Boyer-Capelle C, editors. Dictionnaire juridique des discriminations. Paris: L'Harmattan; 2021. p. 338–9. 10. Le Laplantine F. Social et le sensible. Introduction à une anthropologie modale. Paris: Téraèdre ; 2005.
L'auteur de cet extrait
Arnaud Alessandrin4 4. Auteur de Sociologie des transidentités (Cavalier bleu, 2018), Actualité des trans studies (EAC, 2019), Santé LGBT. Les minorités de genre et de sexualité face aux soins (Le Bord de l'Eau, 2020) et Déprivilégier le genre (Double Ponctuation, 2021).
Vous venez de découvrir un extrait de l'ouvrage Santé sexuelle et reproductive des personnes LGBT S’ouvre dans une nouvelle fenêtre- Coordonné par Philippe Faucher Danielle Hassoun Thelma Linet © 2023, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés
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