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Le billet de Julien: Une très brève histoire de la productivité dans le soin

7 novembre 2016

Par Génération Elsevier

Julien est un ESI de 3ème année qui s’exprime chaque mois sur un sujet de son choix. Aujourd’hui : Une très brève histoire de la productivité dans le soin.

Vous n’êtes pas sans savoir que le 8 novembre 2016 sera marqué du sceau de la contestation soignante, et notamment des IDE, en France. Une manifestation qui fait suite à de trop nombreuses années de méprise et de silence de la part des tutelles, de non reconnaissance, et de changement du système hospitalier fait à marche forcée.

Edito Julien

Edito Julien

Le changement … le changement est un concept qui fait très peur, aussi bien pour les équipes qui le subissent que pour ceux qui en sont à l’origine… si si. Quand j’étais en École de commerce et de Gestion (quand j’étais plus jeune, dans une autre vie), on nous faisait des cours entiers sur la conduite du changement. C’était quelque chose de réellement terrifiant. Nous étions formé à être des cadres capable de coordonner et d’impulser le changement dans une entreprise. J’en ai retenu une chose : vous pouvez avoir un budget de plusieurs millions d’euros, avoir les meilleurs managers du monde pour gérer les équipes, et les meilleurs formations, le changement peut toujours foirer, à tout moment. Les résistances sont multiples, infiltrées, et peuvent faire tomber absolument tous les projets, même les mieux conduits. Le changement, ça ne plait à personne, et c’est humain. C’est difficile, ça fait se remettre en question et ça fait perdre un temps en efficacité.

C’est un des arguments que l’on vous dira en service, quand on essayera de vous faire passer une nouvelle procédure, par exemple.

Ce n’est pas pour ça que le changement est mauvais en soi. C’est juste qu’il faut voir ce qu’il y a derrière. C’est en cela qu’il faut être vigilant.

Mais quel est le changement que l’on nous propose … et quel est le rapport avec toutes nos revendications?

Le changement impulsé dans le milieu hospitalier est principalement dans une logique d’optimisation, aussi bien dans la gestion des ressources humaines, que des stocks ou de la conduite de process. L’un des arguments -et que l’on peut tout à fait entendre- c’est que l’organisation de la santé doit passer de l’informel à la formalisation. Beaucoup d’études en sciences infirmières sont faites sur le sujet, et à ce titre, je ne peux que vous conseiller de lire Michel Nadot. La formalisation c’est quoi ? C’est le fait d’avoir une structure commune dans les soins, une organisation qui saurait expliquer tout ce que l’on fait, le décrire, pour l’optimiser. On y arrive déjà avec les planifications de soins informatisées, ou l’on consigne nos actes, du nursing à l’intramusculaire, en passant par la prise de tension. Alors, bien ou mal ? Ce que je trouve intéressant (mais là, c’est l’ancien gestionnaire qui parle), c’est que formaliser les actes, c’est les valoriser financièrement, et les valoriser financièrement, c’est une forme de reconnaissance de notre travail, et de notre profession, qu’on le veuille ou non. Il y a quelque temps, sur l’internet, les gens étaient outrés de voir une facture envoyée à un couple d’américain dont la femme venait d’accoucher. Il avait facturé le Peau à Peau avec le papa 40 dollars US. Derrière cette nomenclature maladroite, se cache une réalité : en reconnaissant financièrement les actes, on reconnaît la nécessité d’un soignant derrière, l’expertise que l’on attend de cette personne et ses compétences. Le fait de consigner les soins durant son service peut être vécu comme du flicage. Il peut aussi être un outil organisationnel, qui permet de vraiment rendre compte du travail effectué par les agents, ainsi, il est possible de négocier des soignants supplémentaires face à la réalité concrète du terrain. Rendre des comptes pour se rendre compte … Mais dans beaucoup d’établissement, le fait de consigner les soins ne sert qu’à les facturer, et aucun soignant supplémentaire n’est embauché … vous connaissez l’histoire.

Alors on en est où ?

Des conditions de travail dégradées, une reconnaissance inexistante, des changements structurels et organisationnels qui nous sont imposés. Bref, un système qui souffre. Mais de quel système parle-t-on ? Certains experts se targuent d’exporter les méthodes toyotistes dans le milieu hospitaliers.

C’est vrai.

Est-ce que c’est bien ?

Oui, mais surtout non. En fait, c’est comme à chaque fois : c’est toujours pertinent de s’inspirer d’outil qui marche, encore faille t’il que ces outils soient adaptés au milieu.

Mais le toyotisme c’est quoi ? Je pense que ça vaut le coup d’en faire une petite explication dans le texte, afin de bien comprendre de quoi il s’agit.

Je ne ferai pas mieux que wikipedia. Mais en résumé, le Toyotisme, c’est une méthode de gestion utilisé par Toyota issue des travaux de Taiichi Ono. C’est une méthode fondée sur l’optimisation des ressources c’est à dire : – 0 gaspillage – Une qualité optimale sur toute la chaîne de montage – Une production à flux tendue

Bon, jusque là, la comparaison est facile : on évite le gaspillage dans les services, on recherche la meilleure qualité pour le patient, et la production à flux tendue rappelle l’idée que l’on peut raccourcir le séjour à l’hôpital pour développer la chirurgie ambulatoire et les soins en ville … pourquoi pas … Le toyotisme c’est aussi le cercle qualité, l’esprit d’équipe, l’amélioration des procédures par les équipes, aussi bien par les cadres que les agents sur la chaîne. L’amélioration vient des propositions de chacun … super programme non ? C’est toujours intéressant quand les décideurs prennent l’avis de tout le monde, surtout quand il peut améliorer les choses.

Le toyotisme, c’est aussi ce que les japonais appellent le Kaizen, et c’est une des mesures phares. Sur une chaîne de montage, si l’on est toujours au même poste, on s’ennuie facilement, surtout si on y reste 40 ans. Les japonais, plutôt malins, l’ont très vite compris. Ils décidèrent donc de faire tourner les ouvriers sur des ilots de production plutôt que des chaînes répétitives. En clair ? Les équipes tournent, les ouvriers apprennent plus de choses, sont sur des postes différents et sont contents de ne pas toujours faire toujours la même chose. Et en plus, ils peuvent discuter entre eux des astuces de chacun pour faire évoluer la rapidité de production.

Bref, c’est tout bénéf. Mais le gros problème du toyotisme, c’est qu’on essaye de le reproduire par tous les moyens alors que ça ne fonctionne pas avec tous les systèmes.

Ha oui, j’oubliais, le Kaisen, c’est aussi l’autonomisation du système : pour que les ouvriers puissent tourner sur la chaîne de production, il faut un standard formalisé, chronométré afin d’optimiser la fabrication. Oui, chronométré.

Pour instaurer un système toyotiste à l’hôpital, il faudrait que les soignants soient interchangeables entre les services, comme aujourd’hui, et il faudrait que l’optimisation du soin soit tel que l’on puisse chronométrer tous les actes, et avoir un standard de base, pour maintenir un “standing” de production … pardon, de soins. En clair, ton Lovenox, tu dois le faire en 4 minutes et 20 secondes, et pas une de plus, sinon tu n’es plus performant.e. Idem pour la toilette : 20 minutes et 43 secondes par patient, sinon, tu prends du retard sur ta journée.

Ce n’est pas un rêve, c’est presque une réalité. Pas encore tout à fait, soyons honnête, même si on en est pas loin. La réalité par contre, c’est de demander aux soignants de changer de service, c’est de penser que le soin se résume à une suite d’acte sans pensée. C’est penser que le suivi du patient et l’expertise n’existe pas, puisque seul les actes comptent. L’expertise de l’infirmière, le colloque singulier. Rien de tout cela n’existe dans le toyotisme. Le Kaisen, c’est l’ultra-standardisation, poussé à l’extrême. Aujourd’hui, des auteurs le remettent en cause. Critiquant notamment le côté “bouche-trou” des équipes … tiens tiens, cela ne vous rappelle rien ?

Il reste pertinent d’optimiser notre système de soin, mais l’hôpital, ce n’est pas l’usine … L’améliorer, cela passera par : – Une qualité de la formation, et un élargissement des compétences – Plus de personnel, ou un personnel mieux répartis – Un vrai projet de service porté par chaque équipe – Une autonomie plus grande, à chaque niveau de la santé, individuelle comme collective

Mais il est stupide de vouloir faire de notre santé un poste de recette. La santé est une dépense. Elle a un coût. Mais la santé n’a pas de prix. Et on ne peut pas demander à la santé d’être rentable. Sauf pour les mutuelles, qui depuis la nouvelle loi santé, prennent une part de plus en plus importante sur l’échiquier des remboursements. Les assurances à l’américaine sont aux portes de l’hôpital… mais ça … C’est une autre histoire. Bon mois de novembre à vous toutes et tous …

Ha oui, et n’oubliez pas ! Ce n’est pas le changement qui est mauvais, c’est ce qu’on en fait 

29 ans, ESI promo 2017 Master II en gestion et management créateur du site www.wikifsi.com Twitter @Martinez_J_

Toujours là pour t’agacer, mais jamais pour penser à ta place